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Le « sens commun » chez Gramsci : Différence entre versions

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Le concept de « sens commun » chez Gramsci est liée structurellement à deux autres notions : celle de [[Structure, superstructures, « bloc historique »|« bloc historique »]], qui définit ce qu’est un procès historique, et celle de « Catharsis », qui met elle-même en jeu la question du « passage de la nécessité à la liberté ».
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Le concept de « sens commun » chez Gramsci est lié structurellement à deux autres notions : celle de [[Structure, superstructures, « bloc historique »|« bloc historique »]], qui définit ce qu’est un procès historique, et celle de « Catharsis », qui met elle-même en jeu la question du « passage de la nécessité à la liberté ».
  
Le terme « sens commun » renvoie à l’ensemble des représentations propres à un groupe social. Les groupes sociaux étant imbriqués les uns dans les autres, le sens commun, dans sa portée la plus générale, peut être considéré comme un ensemble de sens communs.
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Le terme « sens commun » renvoie à l’ensemble des représentations propres à un groupe social. Les groupes sociaux étant imbriqués les uns dans les autres, le sens commun, dans sa portée la plus générale, peut être considéré comme un ''ensemble'' de sens communs.
  
Ensemble de représentations, le sens commun constitue une « conception du monde » <ref> Le «sens commun qui est au fond la conception de la vie et la morale la plus répandue. » (Q 1, 65, 76)</ref>, celle du groupe social considéré. La notion de sens commun tire toute sa portée du rôle qu’elle tient dans l’économie du « bloc historique ». C’est par là, en effet, que se mettent en place les distinctions que fait Gramsci entre sens commun et « savoir » - celui de la science et de la philosophie – entre sens commun et « bon sens » et que se donne à voir le rapport spécifique du sens commun à la religion. C’est par là, enfin, que s’éclaire la question de ce que Gramsci appelle le passage de la nécessité à la liberté.
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Ensemble de représentations, le sens commun constitue une « conception du monde » <ref> Le «sens commun qui est au fond la conception de la vie et la morale la plus répandue. » Q 1, 65, 76</ref>, celle du groupe social considéré. La notion de sens commun tire toute sa portée du rôle qu’elle tient dans l’économie du « bloc historique ». C’est par là, en effet, que se mettent en place les distinctions que fait Gramsci entre sens commun et « savoir » - celui de la science et de la philosophie – entre sens commun et « bon sens » et que se donne à voir le rapport spécifique du sens commun à la religion. C’est par là, enfin, que s’éclaire la question de ce que Gramsci appelle le passage de la nécessité à la liberté.
 
== Sens commun et « bloc historique » ==  
 
== Sens commun et « bloc historique » ==  
Chez Gramsci le « bloc historique » est quelque chose comme la plus petite unité possible de procès historique, au sens où elle est celle que l’on considère comme insécable, indécomposable<ref>Voir Georges Sorel, ‘’Réflexions sur la violence’’, édition électronique réalisée à partir du texte de la 1re édition, 1908. Paris : Marcel Rivière et Cie, p. 20. C’est à Sorel que Gramsci emprunte le concept de « bloc historique ».</ref>. Un bloc historique peut regrouper lui-même d’autres blocs historiques – par exemple, le bloc historique constitué par les trois nations les plus « avancées » d’Europe au 19e siècle, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, est lui-même composé des blocs historiques correspondant à chacune de ces trois nations, blocs historiques composés à leur tour de blocs historiques en quelque sorte « régionaux », etc. -. Par ailleurs, du fait même que le bloc historique est un procès, la durée considérée d’un bloc historique peut varier – Gramsci considère, le bloc historique constitué par la France entre 1789 et 1870 <ref>Q 4, 38</ref> , mais on pourrait, dans le même esprit, ne prendre en compte pour le bloc historique « Europe occidentale » - dont ferait partie le bloc « France » - que la période allant du Congrès de Vienne en 1815 aux révolutions de 1848.  Dans tous les cas, cependant, le principe déterminant reste l’unité ‘’organique’’ constitutive du bloc.
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Chez Gramsci le « bloc historique » est quelque chose comme la plus petite unité possible de procès historique, au sens où elle est celle que l’on considère comme insécable, indécomposable<ref>Voir Georges Sorel, ''Réflexions sur la violence'', édition électronique réalisée à partir du texte de la 1re édition, 1908. Paris : Marcel Rivière et Cie, p. 20. C’est à Sorel que Gramsci emprunte le concept de « bloc historique ».</ref>. Un bloc historique peut regrouper lui-même d’autres blocs historiques – par exemple, le bloc historique constitué par les trois nations les plus « avancées » d’Europe au 19e siècle, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, est lui-même composé des blocs historiques correspondant à chacune de ces trois nations, blocs historiques composés à leur tour de blocs historiques en quelque sorte « régionaux », etc. -. Par ailleurs, du fait même que le bloc historique est un procès, la durée considérée d’un bloc historique peut varier – Gramsci évoque le bloc historique constitué par la France entre 1789 et 1870 <ref>Q 4, 38</ref> , mais on pourrait, dans le même esprit, ne prendre en compte pour le bloc historique « Europe occidentale » - dont ferait partie le bloc « France » - que la période allant du Congrès de Vienne en 1815 aux révolutions de 1848.  Dans tous les cas, cependant, le principe déterminant reste l’unité ''organique'' constitutive du bloc.
  
« Organique », ici, signifie bien « indécomposable » ; on peut, certes, faire l’analyse du bloc historique et le décomposer en ses éléments constitutifs, mais le prix de cette décomposition sera la disparition de la vie même du bloc ; de même que, si l’on peut séparer les organes composant un corps sur la table de dissection, c’est que ce corps ne ‘’vit’’ plus, de même, si on sépare les uns des autres les éléments que l’analyse identifie dans le bloc historique, c’est que ce bloc ne se développe plus, n’est plus engagé dans son procès historique <ref>Il ne l’est qu’à travers l’historicité de l’analyse elle-même.</ref>. En d’autres termes, aucun des éléments distingués par l’analyse et qui composent un bloc historique, ne « fonctionne », dans le réel, sans les autres. C’est ainsi que la « structure », en langage marxiste, c’est-à-dire la « base » matérielle et économique du bloc historique, n’existe pas par elle-même, comme une entité indépendante et autonome, mais seulement dans son expression par ‘’les’’ « superstructures », lesquelles renvoient à tout ce qui relève des « usages », en incluant dans ceux-ci les usages les plus quotidiens, mais aussi tout ce qui se traduit en « culture », des techniques aux sciences et aux arts, à quoi s’ajoutent les rites collectifs, la religion, la vie politique, la vie administrative, les « idéologies » enfin. Le « sens commun » fait partie de cette expression superstructurelle de la structure. Il ne peut y avoir de bloc historique sans un sens commun, lui-même agrégation des sens communs propres à chacun des groupes sociaux dont le bloc historique considéré est composé. Il ne peut y avoir de sens commun qui ne soit pris dans le procès du bloc historique dont il est une expression ; en d’autres termes, il ne peut y avoir de sens commun qui ne ‘’change’’ au rythme des changements du bloc historique.
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« Organique », ici, signifie bien « indécomposable » ; on peut, certes, faire l’analyse du bloc historique et le décomposer en ses éléments constitutifs, mais le prix de cette décomposition sera la disparition de la vie même du bloc ; de même que, si l’on peut séparer les organes composant un corps sur la table de dissection, c’est que ce corps ne ''vit'' plus, de même, si on sépare les uns des autres les éléments que l’analyse identifie dans le bloc historique, c’est que ce bloc ne se développe plus, n’est plus engagé dans son procès historique <ref>Il ne l’est qu’à travers l’historicité de l’analyse elle-même.</ref>. En d’autres termes, aucun des éléments distingués par l’analyse et qui composent un bloc historique, ne « fonctionne », dans le réel, sans les autres. C’est ainsi que la « structure », en langage marxiste, c’est-à-dire la « base » matérielle et économique du bloc historique, n’existe pas par elle-même, comme une entité indépendante et autonome, pas même sous la forme matérielle des territoires, des usines, des "matières premières", des constructions, etc. mais à travers son expression par ''les'' « superstructures », lesquelles renvoient non seulement aux formes matérielles, mais aussi à tout ce qui relève des « usages », en incluant dans ceux-ci les usages les plus quotidiens et tout ce qui se traduit en « culture », des techniques aux sciences et aux arts, à quoi s’ajoutent les rites collectifs, la religion, la vie politique, la vie administrative, les « idéologies » enfin. Le « sens commun » fait partie de cette expression superstructurelle de la structure. Il ne peut y avoir de bloc historique sans un sens commun, lui-même agrégation des sens communs propres à chacun des groupes sociaux dont le bloc historique considéré est composé. Il ne peut y avoir de sens commun qui ne soit pris dans le procès du bloc historique dont il est une expression ; en d’autres termes, il ne peut y avoir de sens commun qui ne ''change'' au rythme des changements du bloc historique.
  
Aussi bien le changement et la diversité, sous la forme également de la fragmentation, de la dispersion, de l’incohérence, de la contradiction, sont-ils la caractéristique principale du sens commun. Le sens commun, en effet, est « acritique » <ref>Q 8, 173, 1045</ref>, il accueille indistinctement les représentations non seulement les plus diverses, les moins homogènes, mais les plus contradictoires ; le sens commun ne se soucie pas des incohérences, voire des absurdités qui peuvent le traverser. Le sens commun renferme tout l’implicite qui habite les représentations collectives. En ce sens, il est, dit Gramsci, le « folklore » de la philosophie <ref> « Le “sens commun“ est le folklore de la philosophie et se tient au milieu entre le “folklore“ véritable […] et la philosophie, la science, l’économie des scientifiques. ». Ibid.</ref>.
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Aussi bien le changement et la diversité, sous la forme également de la fragmentation, de la dispersion, de l’incohérence, de la contradiction, sont-ils la caractéristique principale du sens commun. Le sens commun, en effet, est « acritique » <ref>Q 8, 173, 1045</ref>, il accueille indistinctement les représentations non seulement les plus diverses, les moins homogènes, mais les plus contradictoires ; le sens commun ne se soucie pas des incohérences, voire des absurdités qui peuvent le traverser. Le sens commun renferme tout l’implicite qui habite les représentations collectives. En ce sens, il est, dit Gramsci, le « folklore » de la philosophie <ref> « Le “sens commun“ est le folklore de la philosophie et se tient au milieu entre le “folklore“ véritable […] et la philosophie, la science, l’économie des scientifiques. ». ''Ibid.''</ref>.
  
 
Gramsci prend l’exemple de l’ancienne conviction du sens commun selon laquelle c’est le soleil qui tourne autour de la terre. Cette conviction, qui s’appuyait sur l’évidence sensible, portait avec elle toute l’astronomie ptolémaïque et s’est longtemps identifiée avec la science, jusqu’à ce que celle-ci, avec Copernic, s’en détache. Gramsci évoque ce sens commun ptolémaïque à propos d’une autre idée, dont il considère qu’elle relève elle aussi du sens commun, à savoir celle de la réalité objective du monde extérieur. Sur ce plan, le sens commun se manifeste par l’incompréhension de la question même : « Le public ordinaire ne croit même pas qu’on puisse poser un tel problème, [à savoir] si le monde extérieur existe objectivement. Il suffit d’énoncer ainsi le problème pour entendre une explosion inarrêtable et gargantuesque d’hilarité. Le public “croit“ que le monde extérieur est objectivement réel... » <ref>Q 11, II, 17, 1412</ref>. Il s’agit bien, en effet, d’une « croyance », et non d’un savoir, car cette conviction de la réalité du monde extérieur a le même statut, précisément, que celui de la « croyance » en la description ptolémaïque du monde céleste. En toute rigueur, aux yeux de Gramsci, la démonstration par la science de l’inanité de la conviction ptolémaïque et donc la révélation du statut incertain de ce qui était tenu jusque là pour une évidence, touche également la conviction de la réalité objective du monde extérieur. L’« évidence » sensible, en l’occurrence, ne peut plus garantir un savoir.
 
Gramsci prend l’exemple de l’ancienne conviction du sens commun selon laquelle c’est le soleil qui tourne autour de la terre. Cette conviction, qui s’appuyait sur l’évidence sensible, portait avec elle toute l’astronomie ptolémaïque et s’est longtemps identifiée avec la science, jusqu’à ce que celle-ci, avec Copernic, s’en détache. Gramsci évoque ce sens commun ptolémaïque à propos d’une autre idée, dont il considère qu’elle relève elle aussi du sens commun, à savoir celle de la réalité objective du monde extérieur. Sur ce plan, le sens commun se manifeste par l’incompréhension de la question même : « Le public ordinaire ne croit même pas qu’on puisse poser un tel problème, [à savoir] si le monde extérieur existe objectivement. Il suffit d’énoncer ainsi le problème pour entendre une explosion inarrêtable et gargantuesque d’hilarité. Le public “croit“ que le monde extérieur est objectivement réel... » <ref>Q 11, II, 17, 1412</ref>. Il s’agit bien, en effet, d’une « croyance », et non d’un savoir, car cette conviction de la réalité du monde extérieur a le même statut, précisément, que celui de la « croyance » en la description ptolémaïque du monde céleste. En toute rigueur, aux yeux de Gramsci, la démonstration par la science de l’inanité de la conviction ptolémaïque et donc la révélation du statut incertain de ce qui était tenu jusque là pour une évidence, touche également la conviction de la réalité objective du monde extérieur. L’« évidence » sensible, en l’occurrence, ne peut plus garantir un savoir.
  
« Quelle est l’origine de cette “croyance“ », demande Gramsci <ref>Q 11, 17, 1412</ref> : pourquoi l’idée de la réalité objective du monde extérieur est-elle devenue une conviction du sens commun ? La « croyance » à la réalité du monde extérieur a, répond Gramsci, des origines religieuses : la religion enseigne que la monde a été créé et formé par Dieu avant qu’il ne crée les hommes, qui ont donc trouvé la « réalité extérieure » toute prête. La religion, en tant que facteur d’unification des masses, a toujours à voir avec le réalisme et le matérialisme « vulgaire » <ref> »Dans le sens commun prédominent les éléments “réalistes, matérialistes“, ce qui n’est pas en contradiction avec l’élément religieux, bien au contraire…, Q 8, 173, 1045</ref> : le mythe des origines s’appuie en l’occurrence sur l’évidence sensible – celle du réel hors de moi – et la conforte. Le rire populaire face à la question de la réalité objective du monde extérieur est ainsi un rire religieux. C’est là ce que n’a pas compris Boukharine lorsqu’il reprend lui-même, dans son Manuel – le [Gramsci et le ''Saggio popolare'' de Boukharine|’’Saggio popolare’’] <ref>Nicolaï Boukharine, ‘’La théorie du matérialisme historique. Manuel de sociologie populaire’’, Moscou, 1921, édition en ligne « Les classiques des sciences sociales », UQAC, http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.bon.the</ref>- sous la forme du matérialisme « vulgaire », l’affirmation acritique de la réalité objective du monde extérieur et le rire populaire qui l’accompagne.
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« Quelle est l’origine de cette “croyance“ », demande Gramsci <ref>Q 11, 17, 1412</ref> : pourquoi l’idée de la réalité objective du monde extérieur est-elle devenue une conviction du sens commun ? La « croyance » à la réalité du monde extérieur a, répond Gramsci, des origines religieuses : la religion enseigne que le monde a été créé et formé par Dieu avant qu’il ne crée les hommes, qui ont donc trouvé la « réalité extérieure » toute prête. La religion, en tant que facteur d’unification des masses, a toujours à voir avec le réalisme et le [[Gramsci et le matérialisme|matérialisme « vulgaire »]] <ref>« Dans le sens commun prédominent les éléments “réalistes, matérialistes“, ce qui n’est pas en contradiction avec l’élément religieux, bien au contraire…, Q 8, 173, 1045</ref> : le mythe des origines s’appuie en l’occurrence sur l’évidence sensible – celle du réel hors de moi – et la conforte. Le rire populaire face à la question de la réalité objective du monde extérieur est ainsi un rire religieux. C’est là ce que n’a pas compris Boukharine lorsqu’il reprend lui-même, dans son ''Manuel'' – le [[Gramsci et le ''Saggio popolare'' de Boukharine|''Saggio popolare'']] <ref>Nicolaï Boukharine, ''La théorie du matérialisme historique. Manuel de sociologie populaire'', Moscou, 1921, édition en ligne « Les classiques des sciences sociales », UQAC, http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.bon.the</ref>- sous la forme du matérialisme « vulgaire », l’affirmation acritique de la réalité objective du monde extérieur et le rire populaire qui l’accompagne.
  
C’est à cet écart, que montre Gramsci entre le sens commun et le savoir véritable – science et philosophie – et qui repose sur le fait que le sens commun est « acritique », que renvoie  l’hétérogénéité fondamentale du sens commun : de même que le folklore est essentiellement divers dans les formes que prennent les représentations et les usages collectifs, par rapport à la normalisation et à l’unification des usages qui s’effectuent dans le cadre de l’élaboration des États et des nations, de même le sens commun est-il fragmenté, divers dans ses représentations par rapport au savoir ‘’critique’’ et unifié de la philosophie et de la science.
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C’est à cet écart entre le sens commun et le savoir véritable – science et philosophie – et qui repose sur le fait que le sens commun est « acritique », que renvoie  l’hétérogénéité fondamentale du sens commun : de même que le folklore est essentiellement divers dans les formes que prennent les représentations et les usages collectifs, par rapport à la normalisation et à l’unification des usages qui s’effectuent dans le cadre de l’élaboration des États et des nations, de même le sens commun est-il fragmenté, divers dans ses représentations, par rapport au savoir ''critique'' et unifié de la philosophie et de la science.
  
Cette fragmentation, cette hétérogénéité, ces contradictions, qui sont la marque du sens commun d’un bloc historique, reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux qui forment ce bloc. Hétérogénéité, contradiction entre eux des groupes sociaux qui sont ramenés à l’unité caractéristique du bloc par ‘’l’hégémonie’’ que tel ou tel groupe exerce sur les autres au sein du bloc. Comment cette hégémonie se met-elle en place ?
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Cette fragmentation, cette hétérogénéité, ces contradictions, qui sont la marque du sens commun d’un bloc historique, reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux qui forment ce bloc. Hétérogénéité, contradiction entre eux des groupes sociaux qui sont ramenés à l’unité caractéristique du bloc par ''l’hégémonie'' que tel ou tel groupe exerce sur les autres au sein du bloc. Comment cette hégémonie se met-elle en place ?
  
Le sens commun, s’il est fragmenté, hétérogène, est aussi un facteur d’unité en ce qui concerne le bloc historique : il est, nous l’avons dit, ‘’l’ensemble’’ des usages divers, opposés, contradictoires qui reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux composant le bloc. Le rôle de la religion dans le rapprochement, la cohabitation de ces éléments divers et contradictoires, a été souligné. La formation du bloc historique correspond à l’élaboration de l’unité qui lui est constitutive. L’émergence d’’’un’’ sens commun, ensemble des sens communs divers correspondant aux groupes qui sont eux-mêmes en train de s’unifier, fait partie de ce processus, qui peut être identifié au processus historique du bloc lui-même. Lorsque ce sens commun correspondant à un bloc historique apparaît, c’est que le bloc est né. A ce stade le sens commun s’identifie avec le « bon sens ». Il renvoie au moment du procès historique dans lequel un groupe social a pris le pas sur les autres au sein du bloc historique, l’élaboration de ce sens commun correspondant à la mise en place de l’hégémonie exercée par ce groupe. Celui-ci a obtenu que ses propres représentations, son propre sens commun, soit adopté, en tout ou partie par les autres groupes – lesquels conservent dans une mesure certaine leurs propres représentations. Le jeu par lequel cette hégémonie se met en place est analysé par Gramsci, au-delà du jeu des forces de coercition, selon [Le langage comme paradigme|le modèle « néolinguistique »] de la formation des dialectes et des langues.
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Le sens commun, s’il est fragmenté, hétérogène, est aussi un facteur d’unité en ce qui concerne le bloc historique : il est, nous l’avons dit, ''l’ensemble'' des usages divers, opposés, contradictoires qui reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux composant le bloc. Le rôle de la religion dans le rapprochement, la cohabitation de ces éléments divers et contradictoires, a été souligné. La formation du bloc historique correspond à l’élaboration de l’unité qui lui est constitutive. L’émergence d’''un'' sens commun, ensemble des sens communs divers correspondant aux groupes qui sont eux-mêmes en train de s’unifier, fait partie de ce processus, qui peut être identifié au processus historique du bloc lui-même. Lorsque ce sens commun correspondant à un bloc historique apparaît, c’est que le bloc est né. A ce stade le sens commun s’identifie avec le « bon sens ». Il renvoie au moment du procès historique dans lequel un groupe social a pris le pas sur les autres au sein du bloc historique, l’élaboration de ce sens commun correspondant à la mise en place de l’hégémonie exercée par ce groupe. Celui-ci a obtenu que ses propres représentations, son propre sens commun, soit adopté, en tout ou partie par les autres groupes – lesquels conservent dans une mesure certaine leurs propres représentations. Le jeu par lequel cette hégémonie se met en place est analysé par Gramsci, au-delà du jeu des forces de coercition, selon [[Le langage comme paradigme|le modèle « néolinguistique »]] de la formation des dialectes et des langues.
  
Le sens commun ainsi élaboré n’en reste pas moins fragmenté, incohérent, contradictoire dans la mesure, précisément, où l’hégémonie ne signifie pas la disparition des groupes dominés et de leurs représentations et donc des contradictions existant entre ces groupes et avec le groupe dominant. Par ailleurs, ce sens commun, précisément parce qu’il est facteur et principe d’unité, ou d’unification, c’est-à-dire d’hégémonie d’un groupe sur les autres, tend à ‘’fixer’’, à « embaumer » les représentations <ref>Q 8, 28, 959</ref>.
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Le sens commun ainsi élaboré n’en reste pas moins fragmenté, incohérent, contradictoire dans la mesure, précisément, où l’hégémonie ne signifie pas la disparition des groupes dominés et de leurs représentations et donc des contradictions existant entre ces groupes et avec le groupe dominant. Par ailleurs, ce sens commun, précisément parce qu’il est facteur et principe d’unité, ou d’unification, c’est-à-dire d’hégémonie d’un groupe sur les autres, tend à ''fixer'', à « embaumer » les représentations <ref>Q 8, 28, 959</ref>.
  
La tendance vers l’unité, au principe du savoir véritable – la science et la philosophie – qui anime le procès dans lequel se constitue le bloc historique, et qui, à un certain stade de ce procès identifie le sens commun au savoir et au « bon sens », a pour logique propre de chercher à éliminer la fragmentation, les incohérences, les contradictions. C’est pourquoi, au-delà de ce stade, lorsque la fixation des représentations, dont le sens commun est aussi le principe, fait ressortir les contradictions, l’incohérence – éventuellement jusqu’à l’absurdité –, le savoir, sous la forme de la science et de la philosophie, se détache, par sa dimension ‘’critique’’, du sens commun et ce mouvement se traduit par la création d’un « nouveau bon sens ». Le passage de l’astronomie ptolémaïque à l’astronomie copernicienne et galiléenne illustre ce mouvement, qui est l’un des aspects décisifs que prend l’élaboration d’une hégémonie.
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La tendance vers l’unité, au principe du savoir véritable – la science et la philosophie – qui anime le procès dans lequel se constitue le bloc historique, et qui, à un certain stade de ce procès identifie le sens commun au savoir et au « bon sens », a pour logique propre de chercher à éliminer la fragmentation, les incohérences, les contradictions. C’est pourquoi, au-delà de ce stade, lorsque la fixation des représentations, dont le sens commun est aussi le principe, fait ressortir les contradictions, l’incohérence – éventuellement jusqu’à l’absurdité –, le savoir, sous la forme de la science et de la philosophie, se détache, par sa dimension ''critique'', du sens commun et ce mouvement se traduit par la création d’un « nouveau bon sens ». Le passage de l’astronomie ptolémaïque à l’astronomie copernicienne et galiléenne illustre ce mouvement, qui est l’un des aspects décisifs que prend l’élaboration d’une hégémonie.
  
 
== Sens commun et « catharsis » ==
 
== Sens commun et « catharsis » ==
 
La deuxième notion à laquelle le concept de sens commun est lié chez Gramsci est celle de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Catharsis « catharsis »].
 
La deuxième notion à laquelle le concept de sens commun est lié chez Gramsci est celle de [https://fr.wikipedia.org/wiki/Catharsis « catharsis »].
  
Originellement, chez les anciens, la catharsis est toujours liée à l’idée d’une purification, qui rend possible une conversion par la prise de conscience. La catharsis opérée par la tragédie naît ainsi de ce que le spectacle proposé sur la scène permet aux spectateurs, chacun pour son propre compte, mais de manière collective, d’objectiver leur propre situation, ou ce qui pourrait être leur propre situation. Par ailleurs, avec Socrate, la catharsis se lie directement au savoir, lequel est atteint par une une « purge », une sorte d’évacuation des illusions liées à la sophistique.
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Originellement, chez les anciens, la catharsis est toujours liée à l’idée d’une purification, qui rend possible une conversion par une prise de conscience. La catharsis opérée par la tragédie naît ainsi de ce que le spectacle proposé sur la scène permet aux spectateurs, chacun pour son propre compte, mais pourtant de manière collective, d’objectiver leur propre situation, ou ce qui pourrait être leur propre situation. Par ailleurs, avec Socrate, la catharsis se lie directement au savoir, lequel est atteint par une une « purge », une sorte d’évacuation des illusions liées à la sophistique.
  
Ces aspects se retrouvent très clairement Chez Gramsci. Ainsi, dans sa réflexion sur [https://fr.wikipedia.org/wiki/Chant_X_de_l%27Enfer le chant X de la ‘’Divine Comédie’’], Gramsci défend l’idée que le personnage de Cavalcante, contrairement à l’idée commune, y est plus important encore que celui de Farinata, du fait que Dante, avec Cavalcante, met en scène le deuil d’un père. Cette objectivation du deuil a un effet ‘’cathartique’’, dit Gramsci, pour Dante lui-même et pour son lecteur : la mise en scène du deuil fait vivre ce deuil à l’auteur comme au lecteur et, en même temps, les en préserve puisque ce deuil n’est pas directement le leur <ref>Q 4, 78-87</ref>.
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Ces aspects se retrouvent très clairement Chez Gramsci. Ainsi, dans sa réflexion sur [https://fr.wikipedia.org/wiki/Chant_X_de_l%27Enfer le chant X de la ''Divine Comédie''], Gramsci défend-il l’idée que le personnage de Cavalcante, contrairement à l’idée commune, y est plus important encore que celui de Farinata, du fait que Dante, avec Cavalcante, met en scène le deuil d’un père. Cette objectivation du deuil a un effet ''cathartique'', dit Gramsci, pour Dante lui-même et pour son lecteur : la mise en scène du deuil fait vivre ce deuil à l’auteur comme au lecteur et, en même temps, les en préserve puisque ce deuil n’est pas directement le leur <ref>Q 4, 78-87</ref>.
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[[Fichier:Farinata.jpg|vignette|Farinata - Andrea del Castagno, ca 1450. Copyright Wikipedia]]
  
D’un point de vue plus général, l’usage du terme « catharsis » chez Gramsci est toujours lié à ce qu’il appelle également « l’auto-conscience » <ref>Voir Q 4, 38, 457, Q 11, 12, 1385</ref>, c’est-à-dire à un savoir ‘’réflexif’’. Ce lien constitue la première dimension de la catharsis gramscienne.
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D’un point de vue plus général, l’usage du terme « catharsis » chez Gramsci est toujours lié à ce qu’il appelle également « l’auto-conscience » <ref>Voir Q 4, 38, 457, Q 11, 12, 1385</ref>, c’est-à-dire à un savoir ''réflexif''. Ce lien à « l’auto-conscience » constitue la première dimension de la catharsis gramscienne.
  
La seconde dimension est le caractère ‘’collectif’’ de ce savoir ; c’est une société, ou un groupe humain qui « sort » de lui-même pour s’objectiver, et donc ‘’se comprendre’’, et, enfin former à partir de là un ‘’savoir’’. Ce dernier stade fait intervenir les « intellectuels ». Ce sont eux, en effet,  qui formulent le savoir, qui donnent une forme concrète – par la parole, le discours, le texte… - à la compréhension que la communauté a d’elle-même <ref>« Auto-conscience critique signifie historiquement et politiquement la création d’une élite d’intellectuels : une masse humaine ne se “distingue“ pas et ne devient pas indépendante, “pour soi“, sans s’organiser (au sens figuré) et il n’y a pas d’organisation  sans intellectuels, c’est-à-dire sans organisateurs et dirigeants, c’est-à-dire sans que l’aspect théorique du lien théorie-pratique ne se distingue concrètement dans une strate de personnes “spécialisées“ dans l’élaboration conceptuelle et philosophique ». Q 11, 12, 1387.</ref>
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La seconde dimension est le caractère ''collectif'' de ce savoir ; c’est une société, ou un groupe humain qui « sort » de lui-même pour s’objectiver, et donc ''se comprendre'', et, enfin former à partir de là un ''savoir''. Ce dernier stade fait intervenir les « intellectuels ». Ce sont eux, en effet,  qui formulent le savoir, qui donnent une forme concrète – par la parole, le discours, le texte… - à la compréhension que la communauté a d’elle-même <ref>« Auto-conscience critique signifie historiquement et politiquement la création d’une élite d’intellectuels : une masse humaine ne se “distingue“ pas et ne devient pas indépendante, “pour soi“, sans s’organiser (au sens figuré) et il n’y a pas d’organisation  sans intellectuels, c’est-à-dire sans organisateurs et dirigeants, c’est-à-dire sans que l’aspect théorique du lien théorie-pratique ne se distingue concrètement dans une strate de personnes “spécialisées“ dans l’élaboration conceptuelle et philosophique ». Q 11, 12, 1387.</ref>
  
Pour qu’il puisse jouer ce rôle, l’intellectuel doit être capable d’éprouver les ‘’sentiments’’ des masses : « L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut ‘’savoir’’ sans comprendre et spécialement sans sentir et être passionné, c’est-à-dire que l’intellectuel puisse être tel s’il est séparé et détaché du peuple » <ref>[Q 4, 33, 452</ref>. L’intellectuel remplit sa fonction de vecteur de « l’auto-conscience » collective pour autant qu’il ressent les passions populaires et, par là même, les comprend. Alors, il peut transformer cette compréhension en « savoir », lequel pourra conduire les sentiments populaire jusqu’à, dit Gramsci, une « catharsis de civilisation moderne » [Ibid.].
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Pour qu’il puisse jouer ce rôle, l’intellectuel doit être capable d’éprouver les ''sentiments'' des masses : « L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut ''savoir'' sans comprendre et spécialement sans sentir et être passionné, c’est-à-dire que l’intellectuel puisse être tel s’il est séparé et détaché du peuple » <ref>Q 4, 33, 452</ref>. L’intellectuel remplit sa fonction de vecteur de « l’auto-conscience » collective pour autant qu’il ressent les passions populaires et, par là même, les comprend. Alors, il peut transformer cette compréhension en « savoir », lequel pourra conduire les sentiments populaire jusqu’à, dit Gramsci, une « catharsis de civilisation moderne » <ref>''Ibid.''</ref>.
  
Le niveau de généralité de ce schéma est élevé : il vaut certainement, dans l’esprit de Gramsci, aussi bien pour une société de type féodal que pour une société capitaliste moderne – les États-Unis, l’Europe occidentale – ou une société socialiste telle que la toute jeune URSS. Dans chaque cas, l’unité profonde du groupe, ce qui constitue le « bloc historique », renvoie concrètement à un groupe social qui, dans le cadre de la communauté considérée, domine les autres groupes sociaux qui composent celle-ci en leur faisant partager ses propres représentations. Ce qui est rendu possible par le fait que les intellectuels ‘’organiques’’ de ce groupe social partagent eux-mêmes certains sentiments des autres groupes et les comprennent.
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Le niveau de généralité de ce schéma est élevé : il vaut certainement, dans l’esprit de Gramsci, aussi bien pour une société de type féodal que pour une société capitaliste moderne – les États-Unis, l’Europe occidentale – ou une société socialiste telle que la toute jeune URSS. Dans chaque cas, l’unité profonde du groupe, ce qui constitue le « bloc historique », renvoie concrètement à un groupe social qui, dans le cadre de la communauté considérée, domine les autres groupes sociaux qui composent celle-ci en leur faisant partager ses propres représentations. Ce qui est rendu possible par le fait que les intellectuels ''organiques'' de ce groupe social partagent eux-mêmes certains sentiments des autres groupes et les comprennent.
  
 
Cependant, avec le prolétariat se produit quelque chose de plus : le savoir auquel aboutit « l’auto-conscience » du prolétariat correspond à une compréhension de la société tout entière, du procès social tout entier, en tant que procès historique : c’est pour le prolétariat que le concept de « bloc historique » prend sens.
 
Cependant, avec le prolétariat se produit quelque chose de plus : le savoir auquel aboutit « l’auto-conscience » du prolétariat correspond à une compréhension de la société tout entière, du procès social tout entier, en tant que procès historique : c’est pour le prolétariat que le concept de « bloc historique » prend sens.
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La troisième dimension de la notion de catharsis chez Gramsci renvoie à l’idée que la catharsis, « l’auto-conscience » du bloc historique, « fait passer du règne de la nécessité à celui de la liberté » : « Cela signifie aussi le passage de l’“objectif au subjectif“ et de la “nécessité à la liberté“. La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté, en instrument pour créer une nouvelle forme éthico-politique, à l’origine de nouvelles initiatives » <ref>Q 10, II,  6, 1244</ref>. La formule renvoie aux hégéliens italiens, et en particulier à Croce, mais aussi aux débats qui agitent les milieux marxistes, à propos du « matérialisme historique » et du « rapport à Hegel ».
 
La troisième dimension de la notion de catharsis chez Gramsci renvoie à l’idée que la catharsis, « l’auto-conscience » du bloc historique, « fait passer du règne de la nécessité à celui de la liberté » : « Cela signifie aussi le passage de l’“objectif au subjectif“ et de la “nécessité à la liberté“. La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté, en instrument pour créer une nouvelle forme éthico-politique, à l’origine de nouvelles initiatives » <ref>Q 10, II,  6, 1244</ref>. La formule renvoie aux hégéliens italiens, et en particulier à Croce, mais aussi aux débats qui agitent les milieux marxistes, à propos du « matérialisme historique » et du « rapport à Hegel ».
  
Pour Gramsci, toute philosophie est l’expression des contradictions de son époque et de la communauté humaine dont elle émane ; toute philosophie est, par là, frappée d’unilatéralité. Cependant, avec Hegel, un seuil est franchi : Hegel pense le procès historique, c’est-à-dire ‘’l’ensemble’’ des contradictions et, par là, la contradiction en tant que telle <ref>Q 11, 62</ref>. C’est là ce que la dialectique hégélienne et son armature logique rend possible, ou, plus exactement, fait advenir, sous la forme du passage, dans la ‘’Grande Logique’’ de 1812<ref>G. F. Hegel,  ‘’Science de la Logique’’, trad. P.J. Labarrière et G. Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972-1981</ref>, de « l’objectivité » - « L’Être » et « L’Essence » - à la « subjectivité » - « Le Concept -. Le procès historique est présenté comme le sujet qui se pose en se pensant lui-même, unité de l’histoire et de la philosophie, comme « Esprit absolu », lequel, bien entendu, représente la liberté.
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Pour Gramsci, toute philosophie est l’expression des contradictions de son époque et de la communauté humaine dont elle émane ; toute philosophie est, par là, frappée d’unilatéralité. Cependant, avec Hegel, un seuil est franchi : Hegel pense le procès historique, c’est-à-dire ''l’ensemble'' des contradictions et, par là, la contradiction en tant que telle <ref>Q 11, 62</ref>. C’est là ce que la dialectique hégélienne et son armature logique rendent possible, ou, plus exactement, font advenir, sous la forme du passage, dans la ''Grande Logique'' de 1812<ref>G. F. Hegel,  ''Science de la Logique'', trad. P.J. Labarrière et G. Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972-1981</ref>, de « l’objectivité » - « L’Être » et « L’Essence » - à la « subjectivité » - « Le Concept -. Le procès historique est présenté comme le sujet qui se pose en se pensant lui-même, unité de l’histoire et de la philosophie, comme « Esprit absolu », lequel, bien entendu, représente la liberté.
  
Cependant, à travers la philosophie de Hegel, le passage de la nécessité à la liberté s’effectue dans le concept et non dans le réel, de sorte qu’il n’est que figuré, qu’il est seulement représenté, précisément, comme une logique. Marx, dont la pensée représente la première forme de la « philosophie de la praxis », réinsère la logique hégélienne dans le réel, ramène la dialectique sur terre. S’il peut le faire, c’est que sa pensée constitue « l’auto-conscience » du prolétariat, le groupe social qui ne peut se penser lui-même sans penser le procès historique comme tel. La pensée de Marx correspond exactement, pour Gramsci, au moment du passage, dans la logique hégélienne, de l’objectivité à la subjectivité, passage qui constitue le cœur même de la philosophie de la praxis ; dans la mesure où il se confond avec la libération du prolétariat, ou, plus exactement, avec l’entrée du prolétariat dans l’action pour sa libération, il représente la transition de la nécessité à la liberté. À l’unité hégélienne de l’histoire et de la philosophie, la philosophie de la praxis ajoute la politique <ref>Voir Q 15, II, 61</ref>.
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Cependant, à travers la philosophie de Hegel, le passage de la nécessité à la liberté s’effectue dans le concept et non dans le réel, de sorte qu’il n’est que figuré, qu’il est seulement représenté, précisément, comme une logique. Marx, dont la pensée constitue la première forme de la « philosophie de la praxis », réinsère la logique hégélienne dans le réel, ramène la dialectique sur terre. S’il peut le faire, c’est que sa pensée constitue « l’auto-conscience » du prolétariat, le groupe social qui ne peut se penser lui-même sans penser le procès historique comme tel. La pensée de Marx correspond exactement, pour Gramsci, au moment du passage, dans la logique hégélienne, de l’objectivité à la subjectivité, passage qui constitue le cœur même de la philosophie de la praxis ; dans la mesure où il se confond avec la libération du prolétariat, ou, plus exactement, avec l’entrée du prolétariat dans l’action pour sa libération, il représente la transition de la nécessité à la liberté. À l’unité hégélienne de l’histoire et de la philosophie, la philosophie de la praxis ajoute la politique <ref>Voir Q 15, II, 61</ref>.
  
 
On est, cependant, ici, toujours dans un processus : la « philosophie de la praxis » reste l’expression des contradictions de la société qu’elle pense, elle reste par là inscrite dans la nécessité : « Mais si la philosophie de la praxis aussi est une expression des contradictions historiques, mieux, en est l’expression la plus achevée parce que consciente, cela signifie qu’elle aussi est liée à la “nécessité“ et non à la “liberté“... » <ref>Q 11, 62, 1488</ref>.
 
On est, cependant, ici, toujours dans un processus : la « philosophie de la praxis » reste l’expression des contradictions de la société qu’elle pense, elle reste par là inscrite dans la nécessité : « Mais si la philosophie de la praxis aussi est une expression des contradictions historiques, mieux, en est l’expression la plus achevée parce que consciente, cela signifie qu’elle aussi est liée à la “nécessité“ et non à la “liberté“... » <ref>Q 11, 62, 1488</ref>.
C’est lorsque la philosophie de la praxis devient populaire, en s’opposant tout d’abord, à travers un « nouveau bon sens », à l’ancien « sens commun », c’est lorsqu’elle devient à son tour « sens commun », que s’ouvre le ‘’passage’’ à la liberté, dans un processus qui n’est pas linéaire car il prend la forme de la lutte des classes que mènent l’une contre l’autre la bourgeoisie et le prolétariat. C’est ainsi que la philosophie de la praxis dans sa première forme – la pensée de Marx - s’est « vulgarisée », « sous la nécessité de la vie pratique immédiate ». La philosophie de Benedetto Croce témoigne de ce moment de l’histoire de la philosophie de la praxis : « de même que la philosophie de la praxis a été la traduction de l’hégélianisme en langage historiciste, de même la philosophie de Croce est dans une mesure tout à fait remarquable une retraduction en langage spéculatif de l’historicisme réaliste de la philosophie de la praxis » <ref>Q 10, I, § 11, 1233</ref>. Marx avait ouvert le « passage à la liberté » en ramenant la logique hégélienne sur terre, Croce la réinstalle dans le ciel des idées et « il faut refaire pour la conception philosophique de Croce la même réduction que les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis ont faite pour la conception hégélienne » <ref>Ibid.</ref> : c’est désormais la philosophie de Croce qu’il convient de ramener sur terre. Tel est donc le mouvement contradictoire qui mène à « l’auto-conscience » du prolétariat, le mouvement par lequel celui-ci prend conscience de sa propre position dans le « bloc historique », et pense l’unité de l’histoire, de la philosophie et de la politique, le mouvement par lequel, en somme, le procès historique réalise le schéma logique exposé par Hegel, celui du passage de « l’objectivité » à la « subjectivité », et lui confère sa dimension cathartique, le moment où « La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté... ».
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C’est lorsque la philosophie de la praxis devient populaire, en s’opposant tout d’abord, à travers un « nouveau bon sens », à l’ancien « sens commun », c’est lorsqu’elle devient à son tour « sens commun », que s’ouvre le ''passage'' à la liberté, dans un processus qui n’est pas linéaire car il prend la forme de la lutte des classes que mènent l’une contre l’autre la bourgeoisie et le prolétariat. C’est ainsi que la philosophie de la praxis dans sa première forme – la pensée de Marx - s’est « vulgarisée », « sous la nécessité de la vie pratique immédiate ». La philosophie de Benedetto Croce témoigne de ce moment de l’histoire de la philosophie de la praxis : « de même que la philosophie de la praxis a été la traduction de l’hégélianisme en langage historiciste, de même la philosophie de Croce est dans une mesure tout à fait remarquable une retraduction en langage spéculatif de l’historicisme réaliste de la philosophie de la praxis » <ref>Q 10, I, § 11, 1233</ref>. Marx avait ouvert le « passage à la liberté » en ramenant la logique hégélienne sur terre, Croce la réinstalle dans le ciel des idées et « il faut refaire pour la conception philosophique de Croce la même réduction que les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis ont faite pour la conception hégélienne » <ref>''Ibid.''</ref> : c’est désormais la philosophie de Croce qu’il convient de ramener sur terre. Tel est donc le mouvement contradictoire qui mène à « l’auto-conscience » du prolétariat, le mouvement par lequel celui-ci prend conscience de sa propre position dans le « bloc historique », et pense l’unité de l’histoire, de la philosophie et de la politique, le mouvement par lequel, en somme, le procès historique réalise le schéma logique exposé par Hegel, celui du passage de « l’objectivité » à la « subjectivité », et lui confère sa dimension cathartique, le moment où « La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté... ».
  
Ce schéma général peut être comparé à celui du marxisme « orthodoxe », celui dont est pénétré le ‘’Manuel’’ de Boukharine que Gramsci attaque tout au long des Cahiers. Au-delà de la chute politique de son auteur en 1929, le ‘’Manuel’’ de Boukharine se rattache, en effet, au marxisme issu de Plekhanov et qui se réclame du Lénine de ‘’Matérialisme et empiriocriticisme’’. Ce marxisme qui, après la mise à l’écart de Déborine, « philosophe officiel » de l’URSS des années 1920, donnera naissance à une nouvelle orthodoxie, celle du « Diamat », officialisée en 1938 par le petit livre de Staline : ‘’Matérialisme historique et matérialisme dialectique’’ <ref>Staline, ‘’Matérialisme dialectique et matérialisme historique’’, Le temps des cerises, 2003. Édition électronique : https://www.marxists.org/francais/general/staline/works/1938/staline_materialisme_dialectique.pdf</ref>. Le « rapport à Hegel » qui découle de ce courant renvoie bien entendu aux métaphores classiques du « renversement » et de la mise au jour du « noyau rationnel » de la dialectique hégélienne, mais sous la forme d’une « dialectique de la nature » où la logique hégélienne est en réalité privée de sa « tête », à savoir la « subjectivité ». La démarche développée par Gramsci au moment même où se met en place cette nouvelle orthodoxie, se distingue clairement de celle-ci. Gramsci n’a en effet jamais soutenu l’idée d’une « dialectique de la nature » telle qu’elle est affirmée dans le contexte du « Diamat » <ref> »Il faudra dans cet esprit, développer l’affirmation d’Engels  sur le passage de la nécessité à la liberté : ce passage se produit évidemment chez les hommes, pas dans la nature (bien qu’il aura des conséquences sur l’intuition de la nature, sur les opinions scientifiques)... », Q 4, 40, 466. Ou encore : « on oublie qu’Engels, bien qu’il y ait travaillé longtemps, a laissé peu de matériaux sur l’oeuvre promise pour démontrer la dialectique comme loi cosmique et on exagère quand on affirme l’identité de pensée entre les deux fondateurs de la philosophie de la praxis ». Q 11, 34, 1449.</ref> et sa réflexion sur la question de la « réalité du monde extérieur », par exemple, de même que son rejet de ce qu’il considère comme un matérialisme « métaphysique » - celui défendu par Boukharine – font écho, bien davantage qu’au « matérialisme dialectique », au statut ontologique de l’histoire et au dépassement de l’opposition classique sujet-objet qui s’élaborent à la même époque dans le sillage de la phénoménologie husserlienne, quand bien même Gramsci n’a jamais eu connaissance de ces développements.
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Ce schéma général peut être comparé à celui du marxisme « orthodoxe », celui dont est pénétré le ''Manuel'' de Boukharine que Gramsci attaque tout au long des ''Cahiers''. Au-delà de la chute politique de son auteur en 1929, le ''Manuel'' de Boukharine se rattache, en effet, au marxisme issu de Plekhanov et qui se réclame du Lénine de ''Matérialisme et empiriocriticisme''. Ce marxisme qui, après la mise à l’écart de Déborine, « philosophe officiel » de l’URSS des années 1920, donnera naissance à une nouvelle orthodoxie, celle du « Diamat », officialisée en 1938 par le petit livre de Staline : ''Matérialisme historique et matérialisme dialectique'' <ref>Staline, ''Matérialisme dialectique et matérialisme historique'', Le temps des cerises, 2003. Édition électronique : https://www.marxists.org/francais/general/staline/works/1938/staline_materialisme_dialectique.pdf</ref>. Le « rapport à Hegel » qui découle de ce courant renvoie bien entendu aux métaphores classiques du « renversement » et de la mise au jour du « noyau rationnel » de la dialectique hégélienne, mais sous la forme d’une « dialectique de la nature » où la logique hégélienne est en réalité privée de sa « tête », à savoir la « subjectivité ». La démarche développée par Gramsci au moment même où se met en place cette nouvelle orthodoxie, se distingue clairement de celle-ci. Gramsci n’a en effet jamais soutenu l’idée d’une « dialectique de la nature » telle qu’elle est affirmée dans le contexte du « Diamat » <ref>« Il faudra dans cet esprit, développer l’affirmation d’Engels  sur le passage de la nécessité à la liberté : ce passage se produit évidemment chez les hommes, pas dans la nature (bien qu’il aura des conséquences sur l’intuition de la nature, sur les opinions scientifiques)... », Q 4, 40, 466. Ou encore : « on oublie qu’Engels, bien qu’il y ait travaillé longtemps, a laissé peu de matériaux sur l’oeuvre promise pour démontrer la dialectique comme loi cosmique et on exagère quand on affirme l’identité de pensée entre les deux fondateurs de la philosophie de la praxis ». Q 11, 34, 1449.</ref> et sa réflexion sur la question de la « réalité du monde extérieur », par exemple, de même que son rejet de ce qu’il considère comme un matérialisme « métaphysique » - celui défendu par Boukharine – font écho, bien davantage qu’au « matérialisme dialectique », au statut ontologique de l’histoire et au dépassement de l’opposition classique sujet-objet qui s’élaborent à la même époque dans le sillage de la phénoménologie husserlienne, quand bien même Gramsci n’a jamais eu connaissance de ces développements.

Version actuelle datée du 14 août 2024 à 15:11

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Le concept de « sens commun » chez Gramsci est lié structurellement à deux autres notions : celle de « bloc historique », qui définit ce qu’est un procès historique, et celle de « Catharsis », qui met elle-même en jeu la question du « passage de la nécessité à la liberté ».

Le terme « sens commun » renvoie à l’ensemble des représentations propres à un groupe social. Les groupes sociaux étant imbriqués les uns dans les autres, le sens commun, dans sa portée la plus générale, peut être considéré comme un ensemble de sens communs.

Ensemble de représentations, le sens commun constitue une « conception du monde » [1], celle du groupe social considéré. La notion de sens commun tire toute sa portée du rôle qu’elle tient dans l’économie du « bloc historique ». C’est par là, en effet, que se mettent en place les distinctions que fait Gramsci entre sens commun et « savoir » - celui de la science et de la philosophie – entre sens commun et « bon sens » et que se donne à voir le rapport spécifique du sens commun à la religion. C’est par là, enfin, que s’éclaire la question de ce que Gramsci appelle le passage de la nécessité à la liberté.

Sens commun et « bloc historique »

Chez Gramsci le « bloc historique » est quelque chose comme la plus petite unité possible de procès historique, au sens où elle est celle que l’on considère comme insécable, indécomposable[2]. Un bloc historique peut regrouper lui-même d’autres blocs historiques – par exemple, le bloc historique constitué par les trois nations les plus « avancées » d’Europe au 19e siècle, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, est lui-même composé des blocs historiques correspondant à chacune de ces trois nations, blocs historiques composés à leur tour de blocs historiques en quelque sorte « régionaux », etc. -. Par ailleurs, du fait même que le bloc historique est un procès, la durée considérée d’un bloc historique peut varier – Gramsci évoque le bloc historique constitué par la France entre 1789 et 1870 [3] , mais on pourrait, dans le même esprit, ne prendre en compte pour le bloc historique « Europe occidentale » - dont ferait partie le bloc « France » - que la période allant du Congrès de Vienne en 1815 aux révolutions de 1848. Dans tous les cas, cependant, le principe déterminant reste l’unité organique constitutive du bloc.

« Organique », ici, signifie bien « indécomposable » ; on peut, certes, faire l’analyse du bloc historique et le décomposer en ses éléments constitutifs, mais le prix de cette décomposition sera la disparition de la vie même du bloc ; de même que, si l’on peut séparer les organes composant un corps sur la table de dissection, c’est que ce corps ne vit plus, de même, si on sépare les uns des autres les éléments que l’analyse identifie dans le bloc historique, c’est que ce bloc ne se développe plus, n’est plus engagé dans son procès historique [4]. En d’autres termes, aucun des éléments distingués par l’analyse et qui composent un bloc historique, ne « fonctionne », dans le réel, sans les autres. C’est ainsi que la « structure », en langage marxiste, c’est-à-dire la « base » matérielle et économique du bloc historique, n’existe pas par elle-même, comme une entité indépendante et autonome, pas même sous la forme matérielle des territoires, des usines, des "matières premières", des constructions, etc. mais à travers son expression par les « superstructures », lesquelles renvoient non seulement aux formes matérielles, mais aussi à tout ce qui relève des « usages », en incluant dans ceux-ci les usages les plus quotidiens et tout ce qui se traduit en « culture », des techniques aux sciences et aux arts, à quoi s’ajoutent les rites collectifs, la religion, la vie politique, la vie administrative, les « idéologies » enfin. Le « sens commun » fait partie de cette expression superstructurelle de la structure. Il ne peut y avoir de bloc historique sans un sens commun, lui-même agrégation des sens communs propres à chacun des groupes sociaux dont le bloc historique considéré est composé. Il ne peut y avoir de sens commun qui ne soit pris dans le procès du bloc historique dont il est une expression ; en d’autres termes, il ne peut y avoir de sens commun qui ne change au rythme des changements du bloc historique.

Aussi bien le changement et la diversité, sous la forme également de la fragmentation, de la dispersion, de l’incohérence, de la contradiction, sont-ils la caractéristique principale du sens commun. Le sens commun, en effet, est « acritique » [5], il accueille indistinctement les représentations non seulement les plus diverses, les moins homogènes, mais les plus contradictoires ; le sens commun ne se soucie pas des incohérences, voire des absurdités qui peuvent le traverser. Le sens commun renferme tout l’implicite qui habite les représentations collectives. En ce sens, il est, dit Gramsci, le « folklore » de la philosophie [6].

Gramsci prend l’exemple de l’ancienne conviction du sens commun selon laquelle c’est le soleil qui tourne autour de la terre. Cette conviction, qui s’appuyait sur l’évidence sensible, portait avec elle toute l’astronomie ptolémaïque et s’est longtemps identifiée avec la science, jusqu’à ce que celle-ci, avec Copernic, s’en détache. Gramsci évoque ce sens commun ptolémaïque à propos d’une autre idée, dont il considère qu’elle relève elle aussi du sens commun, à savoir celle de la réalité objective du monde extérieur. Sur ce plan, le sens commun se manifeste par l’incompréhension de la question même : « Le public ordinaire ne croit même pas qu’on puisse poser un tel problème, [à savoir] si le monde extérieur existe objectivement. Il suffit d’énoncer ainsi le problème pour entendre une explosion inarrêtable et gargantuesque d’hilarité. Le public “croit“ que le monde extérieur est objectivement réel... » [7]. Il s’agit bien, en effet, d’une « croyance », et non d’un savoir, car cette conviction de la réalité du monde extérieur a le même statut, précisément, que celui de la « croyance » en la description ptolémaïque du monde céleste. En toute rigueur, aux yeux de Gramsci, la démonstration par la science de l’inanité de la conviction ptolémaïque et donc la révélation du statut incertain de ce qui était tenu jusque là pour une évidence, touche également la conviction de la réalité objective du monde extérieur. L’« évidence » sensible, en l’occurrence, ne peut plus garantir un savoir.

« Quelle est l’origine de cette “croyance“ », demande Gramsci [8] : pourquoi l’idée de la réalité objective du monde extérieur est-elle devenue une conviction du sens commun ? La « croyance » à la réalité du monde extérieur a, répond Gramsci, des origines religieuses : la religion enseigne que le monde a été créé et formé par Dieu avant qu’il ne crée les hommes, qui ont donc trouvé la « réalité extérieure » toute prête. La religion, en tant que facteur d’unification des masses, a toujours à voir avec le réalisme et le matérialisme « vulgaire » [9] : le mythe des origines s’appuie en l’occurrence sur l’évidence sensible – celle du réel hors de moi – et la conforte. Le rire populaire face à la question de la réalité objective du monde extérieur est ainsi un rire religieux. C’est là ce que n’a pas compris Boukharine lorsqu’il reprend lui-même, dans son Manuel – le Saggio popolare [10]- sous la forme du matérialisme « vulgaire », l’affirmation acritique de la réalité objective du monde extérieur et le rire populaire qui l’accompagne.

C’est à cet écart entre le sens commun et le savoir véritable – science et philosophie – et qui repose sur le fait que le sens commun est « acritique », que renvoie l’hétérogénéité fondamentale du sens commun : de même que le folklore est essentiellement divers dans les formes que prennent les représentations et les usages collectifs, par rapport à la normalisation et à l’unification des usages qui s’effectuent dans le cadre de l’élaboration des États et des nations, de même le sens commun est-il fragmenté, divers dans ses représentations, par rapport au savoir critique et unifié de la philosophie et de la science.

Cette fragmentation, cette hétérogénéité, ces contradictions, qui sont la marque du sens commun d’un bloc historique, reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux qui forment ce bloc. Hétérogénéité, contradiction entre eux des groupes sociaux qui sont ramenés à l’unité caractéristique du bloc par l’hégémonie que tel ou tel groupe exerce sur les autres au sein du bloc. Comment cette hégémonie se met-elle en place ?

Le sens commun, s’il est fragmenté, hétérogène, est aussi un facteur d’unité en ce qui concerne le bloc historique : il est, nous l’avons dit, l’ensemble des usages divers, opposés, contradictoires qui reflètent l’hétérogénéité des groupes sociaux composant le bloc. Le rôle de la religion dans le rapprochement, la cohabitation de ces éléments divers et contradictoires, a été souligné. La formation du bloc historique correspond à l’élaboration de l’unité qui lui est constitutive. L’émergence d’un sens commun, ensemble des sens communs divers correspondant aux groupes qui sont eux-mêmes en train de s’unifier, fait partie de ce processus, qui peut être identifié au processus historique du bloc lui-même. Lorsque ce sens commun correspondant à un bloc historique apparaît, c’est que le bloc est né. A ce stade le sens commun s’identifie avec le « bon sens ». Il renvoie au moment du procès historique dans lequel un groupe social a pris le pas sur les autres au sein du bloc historique, l’élaboration de ce sens commun correspondant à la mise en place de l’hégémonie exercée par ce groupe. Celui-ci a obtenu que ses propres représentations, son propre sens commun, soit adopté, en tout ou partie par les autres groupes – lesquels conservent dans une mesure certaine leurs propres représentations. Le jeu par lequel cette hégémonie se met en place est analysé par Gramsci, au-delà du jeu des forces de coercition, selon le modèle « néolinguistique » de la formation des dialectes et des langues.

Le sens commun ainsi élaboré n’en reste pas moins fragmenté, incohérent, contradictoire dans la mesure, précisément, où l’hégémonie ne signifie pas la disparition des groupes dominés et de leurs représentations et donc des contradictions existant entre ces groupes et avec le groupe dominant. Par ailleurs, ce sens commun, précisément parce qu’il est facteur et principe d’unité, ou d’unification, c’est-à-dire d’hégémonie d’un groupe sur les autres, tend à fixer, à « embaumer » les représentations [11].

La tendance vers l’unité, au principe du savoir véritable – la science et la philosophie – qui anime le procès dans lequel se constitue le bloc historique, et qui, à un certain stade de ce procès identifie le sens commun au savoir et au « bon sens », a pour logique propre de chercher à éliminer la fragmentation, les incohérences, les contradictions. C’est pourquoi, au-delà de ce stade, lorsque la fixation des représentations, dont le sens commun est aussi le principe, fait ressortir les contradictions, l’incohérence – éventuellement jusqu’à l’absurdité –, le savoir, sous la forme de la science et de la philosophie, se détache, par sa dimension critique, du sens commun et ce mouvement se traduit par la création d’un « nouveau bon sens ». Le passage de l’astronomie ptolémaïque à l’astronomie copernicienne et galiléenne illustre ce mouvement, qui est l’un des aspects décisifs que prend l’élaboration d’une hégémonie.

Sens commun et « catharsis »

La deuxième notion à laquelle le concept de sens commun est lié chez Gramsci est celle de « catharsis ».

Originellement, chez les anciens, la catharsis est toujours liée à l’idée d’une purification, qui rend possible une conversion par une prise de conscience. La catharsis opérée par la tragédie naît ainsi de ce que le spectacle proposé sur la scène permet aux spectateurs, chacun pour son propre compte, mais pourtant de manière collective, d’objectiver leur propre situation, ou ce qui pourrait être leur propre situation. Par ailleurs, avec Socrate, la catharsis se lie directement au savoir, lequel est atteint par une une « purge », une sorte d’évacuation des illusions liées à la sophistique.

Ces aspects se retrouvent très clairement Chez Gramsci. Ainsi, dans sa réflexion sur le chant X de la Divine Comédie, Gramsci défend-il l’idée que le personnage de Cavalcante, contrairement à l’idée commune, y est plus important encore que celui de Farinata, du fait que Dante, avec Cavalcante, met en scène le deuil d’un père. Cette objectivation du deuil a un effet cathartique, dit Gramsci, pour Dante lui-même et pour son lecteur : la mise en scène du deuil fait vivre ce deuil à l’auteur comme au lecteur et, en même temps, les en préserve puisque ce deuil n’est pas directement le leur [12].

Farinata - Andrea del Castagno, ca 1450. Copyright Wikipedia

D’un point de vue plus général, l’usage du terme « catharsis » chez Gramsci est toujours lié à ce qu’il appelle également « l’auto-conscience » [13], c’est-à-dire à un savoir réflexif. Ce lien à « l’auto-conscience » constitue la première dimension de la catharsis gramscienne.

La seconde dimension est le caractère collectif de ce savoir ; c’est une société, ou un groupe humain qui « sort » de lui-même pour s’objectiver, et donc se comprendre, et, enfin former à partir de là un savoir. Ce dernier stade fait intervenir les « intellectuels ». Ce sont eux, en effet, qui formulent le savoir, qui donnent une forme concrète – par la parole, le discours, le texte… - à la compréhension que la communauté a d’elle-même [14]

Pour qu’il puisse jouer ce rôle, l’intellectuel doit être capable d’éprouver les sentiments des masses : « L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut savoir sans comprendre et spécialement sans sentir et être passionné, c’est-à-dire que l’intellectuel puisse être tel s’il est séparé et détaché du peuple » [15]. L’intellectuel remplit sa fonction de vecteur de « l’auto-conscience » collective pour autant qu’il ressent les passions populaires et, par là même, les comprend. Alors, il peut transformer cette compréhension en « savoir », lequel pourra conduire les sentiments populaire jusqu’à, dit Gramsci, une « catharsis de civilisation moderne » [16].

Le niveau de généralité de ce schéma est élevé : il vaut certainement, dans l’esprit de Gramsci, aussi bien pour une société de type féodal que pour une société capitaliste moderne – les États-Unis, l’Europe occidentale – ou une société socialiste telle que la toute jeune URSS. Dans chaque cas, l’unité profonde du groupe, ce qui constitue le « bloc historique », renvoie concrètement à un groupe social qui, dans le cadre de la communauté considérée, domine les autres groupes sociaux qui composent celle-ci en leur faisant partager ses propres représentations. Ce qui est rendu possible par le fait que les intellectuels organiques de ce groupe social partagent eux-mêmes certains sentiments des autres groupes et les comprennent.

Cependant, avec le prolétariat se produit quelque chose de plus : le savoir auquel aboutit « l’auto-conscience » du prolétariat correspond à une compréhension de la société tout entière, du procès social tout entier, en tant que procès historique : c’est pour le prolétariat que le concept de « bloc historique » prend sens.

La troisième dimension de la notion de catharsis chez Gramsci renvoie à l’idée que la catharsis, « l’auto-conscience » du bloc historique, « fait passer du règne de la nécessité à celui de la liberté » : « Cela signifie aussi le passage de l’“objectif au subjectif“ et de la “nécessité à la liberté“. La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté, en instrument pour créer une nouvelle forme éthico-politique, à l’origine de nouvelles initiatives » [17]. La formule renvoie aux hégéliens italiens, et en particulier à Croce, mais aussi aux débats qui agitent les milieux marxistes, à propos du « matérialisme historique » et du « rapport à Hegel ».

Pour Gramsci, toute philosophie est l’expression des contradictions de son époque et de la communauté humaine dont elle émane ; toute philosophie est, par là, frappée d’unilatéralité. Cependant, avec Hegel, un seuil est franchi : Hegel pense le procès historique, c’est-à-dire l’ensemble des contradictions et, par là, la contradiction en tant que telle [18]. C’est là ce que la dialectique hégélienne et son armature logique rendent possible, ou, plus exactement, font advenir, sous la forme du passage, dans la Grande Logique de 1812[19], de « l’objectivité » - « L’Être » et « L’Essence » - à la « subjectivité » - « Le Concept -. Le procès historique est présenté comme le sujet qui se pose en se pensant lui-même, unité de l’histoire et de la philosophie, comme « Esprit absolu », lequel, bien entendu, représente la liberté.

Cependant, à travers la philosophie de Hegel, le passage de la nécessité à la liberté s’effectue dans le concept et non dans le réel, de sorte qu’il n’est que figuré, qu’il est seulement représenté, précisément, comme une logique. Marx, dont la pensée constitue la première forme de la « philosophie de la praxis », réinsère la logique hégélienne dans le réel, ramène la dialectique sur terre. S’il peut le faire, c’est que sa pensée constitue « l’auto-conscience » du prolétariat, le groupe social qui ne peut se penser lui-même sans penser le procès historique comme tel. La pensée de Marx correspond exactement, pour Gramsci, au moment du passage, dans la logique hégélienne, de l’objectivité à la subjectivité, passage qui constitue le cœur même de la philosophie de la praxis ; dans la mesure où il se confond avec la libération du prolétariat, ou, plus exactement, avec l’entrée du prolétariat dans l’action pour sa libération, il représente la transition de la nécessité à la liberté. À l’unité hégélienne de l’histoire et de la philosophie, la philosophie de la praxis ajoute la politique [20].

On est, cependant, ici, toujours dans un processus : la « philosophie de la praxis » reste l’expression des contradictions de la société qu’elle pense, elle reste par là inscrite dans la nécessité : « Mais si la philosophie de la praxis aussi est une expression des contradictions historiques, mieux, en est l’expression la plus achevée parce que consciente, cela signifie qu’elle aussi est liée à la “nécessité“ et non à la “liberté“... » [21]. C’est lorsque la philosophie de la praxis devient populaire, en s’opposant tout d’abord, à travers un « nouveau bon sens », à l’ancien « sens commun », c’est lorsqu’elle devient à son tour « sens commun », que s’ouvre le passage à la liberté, dans un processus qui n’est pas linéaire car il prend la forme de la lutte des classes que mènent l’une contre l’autre la bourgeoisie et le prolétariat. C’est ainsi que la philosophie de la praxis dans sa première forme – la pensée de Marx - s’est « vulgarisée », « sous la nécessité de la vie pratique immédiate ». La philosophie de Benedetto Croce témoigne de ce moment de l’histoire de la philosophie de la praxis : « de même que la philosophie de la praxis a été la traduction de l’hégélianisme en langage historiciste, de même la philosophie de Croce est dans une mesure tout à fait remarquable une retraduction en langage spéculatif de l’historicisme réaliste de la philosophie de la praxis » [22]. Marx avait ouvert le « passage à la liberté » en ramenant la logique hégélienne sur terre, Croce la réinstalle dans le ciel des idées et « il faut refaire pour la conception philosophique de Croce la même réduction que les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis ont faite pour la conception hégélienne » [23] : c’est désormais la philosophie de Croce qu’il convient de ramener sur terre. Tel est donc le mouvement contradictoire qui mène à « l’auto-conscience » du prolétariat, le mouvement par lequel celui-ci prend conscience de sa propre position dans le « bloc historique », et pense l’unité de l’histoire, de la philosophie et de la politique, le mouvement par lequel, en somme, le procès historique réalise le schéma logique exposé par Hegel, celui du passage de « l’objectivité » à la « subjectivité », et lui confère sa dimension cathartique, le moment où « La structure, de force extérieure qui écrase l’homme, l’assimile à elle-même, le rend passif, se transforme en moyen de liberté... ».

Ce schéma général peut être comparé à celui du marxisme « orthodoxe », celui dont est pénétré le Manuel de Boukharine que Gramsci attaque tout au long des Cahiers. Au-delà de la chute politique de son auteur en 1929, le Manuel de Boukharine se rattache, en effet, au marxisme issu de Plekhanov et qui se réclame du Lénine de Matérialisme et empiriocriticisme. Ce marxisme qui, après la mise à l’écart de Déborine, « philosophe officiel » de l’URSS des années 1920, donnera naissance à une nouvelle orthodoxie, celle du « Diamat », officialisée en 1938 par le petit livre de Staline : Matérialisme historique et matérialisme dialectique [24]. Le « rapport à Hegel » qui découle de ce courant renvoie bien entendu aux métaphores classiques du « renversement » et de la mise au jour du « noyau rationnel » de la dialectique hégélienne, mais sous la forme d’une « dialectique de la nature » où la logique hégélienne est en réalité privée de sa « tête », à savoir la « subjectivité ». La démarche développée par Gramsci au moment même où se met en place cette nouvelle orthodoxie, se distingue clairement de celle-ci. Gramsci n’a en effet jamais soutenu l’idée d’une « dialectique de la nature » telle qu’elle est affirmée dans le contexte du « Diamat » [25] et sa réflexion sur la question de la « réalité du monde extérieur », par exemple, de même que son rejet de ce qu’il considère comme un matérialisme « métaphysique » - celui défendu par Boukharine – font écho, bien davantage qu’au « matérialisme dialectique », au statut ontologique de l’histoire et au dépassement de l’opposition classique sujet-objet qui s’élaborent à la même époque dans le sillage de la phénoménologie husserlienne, quand bien même Gramsci n’a jamais eu connaissance de ces développements.

  1. Le «sens commun qui est au fond la conception de la vie et la morale la plus répandue. » Q 1, 65, 76
  2. Voir Georges Sorel, Réflexions sur la violence, édition électronique réalisée à partir du texte de la 1re édition, 1908. Paris : Marcel Rivière et Cie, p. 20. C’est à Sorel que Gramsci emprunte le concept de « bloc historique ».
  3. Q 4, 38
  4. Il ne l’est qu’à travers l’historicité de l’analyse elle-même.
  5. Q 8, 173, 1045
  6. « Le “sens commun“ est le folklore de la philosophie et se tient au milieu entre le “folklore“ véritable […] et la philosophie, la science, l’économie des scientifiques. ». Ibid.
  7. Q 11, II, 17, 1412
  8. Q 11, 17, 1412
  9. « Dans le sens commun prédominent les éléments “réalistes, matérialistes“, ce qui n’est pas en contradiction avec l’élément religieux, bien au contraire…, Q 8, 173, 1045
  10. Nicolaï Boukharine, La théorie du matérialisme historique. Manuel de sociologie populaire, Moscou, 1921, édition en ligne « Les classiques des sciences sociales », UQAC, http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.bon.the
  11. Q 8, 28, 959
  12. Q 4, 78-87
  13. Voir Q 4, 38, 457, Q 11, 12, 1385
  14. « Auto-conscience critique signifie historiquement et politiquement la création d’une élite d’intellectuels : une masse humaine ne se “distingue“ pas et ne devient pas indépendante, “pour soi“, sans s’organiser (au sens figuré) et il n’y a pas d’organisation sans intellectuels, c’est-à-dire sans organisateurs et dirigeants, c’est-à-dire sans que l’aspect théorique du lien théorie-pratique ne se distingue concrètement dans une strate de personnes “spécialisées“ dans l’élaboration conceptuelle et philosophique ». Q 11, 12, 1387.
  15. Q 4, 33, 452
  16. Ibid.
  17. Q 10, II, 6, 1244
  18. Q 11, 62
  19. G. F. Hegel, Science de la Logique, trad. P.J. Labarrière et G. Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972-1981
  20. Voir Q 15, II, 61
  21. Q 11, 62, 1488
  22. Q 10, I, § 11, 1233
  23. Ibid.
  24. Staline, Matérialisme dialectique et matérialisme historique, Le temps des cerises, 2003. Édition électronique : https://www.marxists.org/francais/general/staline/works/1938/staline_materialisme_dialectique.pdf
  25. « Il faudra dans cet esprit, développer l’affirmation d’Engels sur le passage de la nécessité à la liberté : ce passage se produit évidemment chez les hommes, pas dans la nature (bien qu’il aura des conséquences sur l’intuition de la nature, sur les opinions scientifiques)... », Q 4, 40, 466. Ou encore : « on oublie qu’Engels, bien qu’il y ait travaillé longtemps, a laissé peu de matériaux sur l’oeuvre promise pour démontrer la dialectique comme loi cosmique et on exagère quand on affirme l’identité de pensée entre les deux fondateurs de la philosophie de la praxis ». Q 11, 34, 1449.