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Gramsci : Ricardo et la « convertibilité » réciproque de la philosophie, de la politique et de l’économie : Différence entre versions

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idéaliste et spéculatif par la philosophie classique allemande, - à une «immanence » réaliste immédiatement historique dans laquelle la loi de causalité des sciences naturelles a été débarrassée de ce qu'elle comportait de mécaniste et s'est synthétiquement identifiée au raisonnement dialectique de l'hégélianisme ? » <ref>Antonio Gramsci, ''Lettres de prison (1926-1934)'', traduit de l’Italien par Hélène Albani, Christian Depuyper et Georges Saro. Paris : Éditions Gallimard, 1971,édition électronique http://dx.doi.org/doi:10.1522/030147462, vol. II, p. 227</ref>. Il s’agit en somme d’ essayer de comprendre si Ricardo, à travers ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance » n’aurait pas joué un rôle important, non seulement en ce qui concerne la « science économique », mais aussi pour « l’histoire de la philosophie », et plus particulièrement, s’il n’a pas « contribué à inciter les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » - autrement dit  Marx et Engels - « à dépasser la philosophie »hégélienne et à élaborer un nouvel historicisme, débarrassé de toute trace de logique spéculative ? » <ref>''Ibid.''</ref>.
 
idéaliste et spéculatif par la philosophie classique allemande, - à une «immanence » réaliste immédiatement historique dans laquelle la loi de causalité des sciences naturelles a été débarrassée de ce qu'elle comportait de mécaniste et s'est synthétiquement identifiée au raisonnement dialectique de l'hégélianisme ? » <ref>Antonio Gramsci, ''Lettres de prison (1926-1934)'', traduit de l’Italien par Hélène Albani, Christian Depuyper et Georges Saro. Paris : Éditions Gallimard, 1971,édition électronique http://dx.doi.org/doi:10.1522/030147462, vol. II, p. 227</ref>. Il s’agit en somme d’ essayer de comprendre si Ricardo, à travers ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance » n’aurait pas joué un rôle important, non seulement en ce qui concerne la « science économique », mais aussi pour « l’histoire de la philosophie », et plus particulièrement, s’il n’a pas « contribué à inciter les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » - autrement dit  Marx et Engels - « à dépasser la philosophie »hégélienne et à élaborer un nouvel historicisme, débarrassé de toute trace de logique spéculative ? » <ref>''Ibid.''</ref>.
  
Sraffa, en juin, répond – par l’intermédiaire de Tatiana Schucht – que la question de Gramsci l’embarrasse : en ce qui concerne la place de Ricardo dans l’histoire de la philosophie, il faudrait qu’il y réfléchisse et qu’il étudie de plus près, au-delà des textes de Ricardo lui-même, ceux des « premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » <ref>Piero Sraffa, Lettere a Tania per Gramsci, Editori riuniti, 1991, p. 74).</ref>. Par ailleurs, ajoute-t-il, il aimerait avoir « quelques explications sur les deux concepts de “marché déterminé“ et de “loi de tendance“, que Nino [Gramsci] appelle fondamentaux et auxquels, en les mettant entre guillemets, il semble attribuer une signification technique : j’avoue que je ne comprends pas bien à quoi ils renvoient, et quant au second, j’avais moi l’habitude de le considérer plutôt  comme une des caractéristiques de l’économie vulgaire » <ref>´´Ibid.´´</ref>. Enfin, précise Sraffa, « Ricardo était, et est toujours resté, un agent de change de culture médiocre : avant de se mettre, entre 30 et 40 ans, à l’étude de l’économie, il avait étudié, pour son propre compte, après ses 25 ans, la chimie et la géologie : il a lu des œuvres philosophiques (Bayle et Locke) après ses 40 ans, sur le conseil de James Mill. Mais il est clair également d’après ses écrits, me semble-t-il, que le seul élément culturel qu’on peut trouver chez lui est dérivé des sciences naturelles » <ref>''Ibid.''</ref>.
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Sraffa, en juin, répond – par l’intermédiaire de Tatiana Schucht – que la question de Gramsci l’embarrasse : en ce qui concerne la place de Ricardo dans l’histoire de la philosophie, il faudrait qu’il y réfléchisse et qu’il étudie de plus près, au-delà des textes de Ricardo lui-même, ceux des « premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » <ref>Piero Sraffa, Lettere a Tania per Gramsci, Editori riuniti, 1991, p. 74).</ref>. Par ailleurs, ajoute-t-il, il aimerait avoir « quelques explications sur les deux concepts de “marché déterminé“ et de “loi de tendance“, que Nino [Gramsci] appelle fondamentaux et auxquels, en les mettant entre guillemets, il semble attribuer une signification technique : j’avoue que je ne comprends pas bien à quoi ils renvoient, et quant au second, j’avais moi l’habitude de le considérer plutôt  comme une des caractéristiques de l’économie vulgaire » <ref>''Ibid.''</ref>. Enfin, précise Sraffa, « Ricardo était, et est toujours resté, un agent de change de culture médiocre : avant de se mettre, entre 30 et 40 ans, à l’étude de l’économie, il avait étudié, pour son propre compte, après ses 25 ans, la chimie et la géologie : il a lu des œuvres philosophiques (Bayle et Locke) après ses 40 ans, sur le conseil de James Mill. Mais il est clair également d’après ses écrits, me semble-t-il, que le seul élément culturel qu’on peut trouver chez lui est dérivé des sciences naturelles » <ref>''Ibid.''</ref>.
  
 
On sait enfin que l’échange sur Ricardo entre les deux amis s’arrête alors, à l’été 1932, à cause du durcissement imposé aux prisonniers par l’administration de la prison en ce qui concerne la correspondance autorisée <ref>Voir à ce sujet l’introduction de Valentino Gerratana à : Piero Sraffa, ''Lettere a Tania per Gramsci'', Editori Riuniti, 1991</ref>.
 
On sait enfin que l’échange sur Ricardo entre les deux amis s’arrête alors, à l’été 1932, à cause du durcissement imposé aux prisonniers par l’administration de la prison en ce qui concerne la correspondance autorisée <ref>Voir à ce sujet l’introduction de Valentino Gerratana à : Piero Sraffa, ''Lettere a Tania per Gramsci'', Editori Riuniti, 1991</ref>.
  
 
Quelle est donc la lecture gramscienne de Ricardo ? Que sont, en particulier, ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance », dont Gramsci attribue la paternité à Ricardo et qui, selon lui, sont des fondements de la « science économique » ?
 
Quelle est donc la lecture gramscienne de Ricardo ? Que sont, en particulier, ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance », dont Gramsci attribue la paternité à Ricardo et qui, selon lui, sont des fondements de la « science économique » ?

Version du 31 mars 2023 à 11:28

En mai 1932, Gramsci écrit à sa belle sœur Tatiana Schucht, une lettre dont une partie est destinée à son ami Piero Sraffa, lequel est installé depuis 1927 à Cambridge où il avait été appelé par Keynes, qui l’avait chargé, entre autre, de travailler à l’édition des œuvres complètes de David Ricardo. « J'aimerais savoir s'il existe quelque ouvrage spécial, même en anglais, sur la méthode de recherche propre à Ricardo dans les sciences économiques et sur les innovations que Ricardo a introduites dans la critique méthodologique ». Et Gramsci précise : « Je pars des deux concepts, fondamentaux pour la science économique, de “marché déterminé“ et de “loi de tendance“ que l'on doit, me semble-t-il, à Ricardo et je raisonne ainsi : - n'est-ce pas sur ces deux concepts qu'on s'est fondé pour réduire la conception « immanentiste » de l'histoire, - exprimée en un langage idéaliste et spéculatif par la philosophie classique allemande, - à une «immanence » réaliste immédiatement historique dans laquelle la loi de causalité des sciences naturelles a été débarrassée de ce qu'elle comportait de mécaniste et s'est synthétiquement identifiée au raisonnement dialectique de l'hégélianisme ? » [1]. Il s’agit en somme d’ essayer de comprendre si Ricardo, à travers ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance » n’aurait pas joué un rôle important, non seulement en ce qui concerne la « science économique », mais aussi pour « l’histoire de la philosophie », et plus particulièrement, s’il n’a pas « contribué à inciter les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » - autrement dit Marx et Engels - « à dépasser la philosophie »hégélienne et à élaborer un nouvel historicisme, débarrassé de toute trace de logique spéculative ? » [2].

Sraffa, en juin, répond – par l’intermédiaire de Tatiana Schucht – que la question de Gramsci l’embarrasse : en ce qui concerne la place de Ricardo dans l’histoire de la philosophie, il faudrait qu’il y réfléchisse et qu’il étudie de plus près, au-delà des textes de Ricardo lui-même, ceux des « premiers théoriciens de la philosophie de la praxis » [3]. Par ailleurs, ajoute-t-il, il aimerait avoir « quelques explications sur les deux concepts de “marché déterminé“ et de “loi de tendance“, que Nino [Gramsci] appelle fondamentaux et auxquels, en les mettant entre guillemets, il semble attribuer une signification technique : j’avoue que je ne comprends pas bien à quoi ils renvoient, et quant au second, j’avais moi l’habitude de le considérer plutôt comme une des caractéristiques de l’économie vulgaire » [4]. Enfin, précise Sraffa, « Ricardo était, et est toujours resté, un agent de change de culture médiocre : avant de se mettre, entre 30 et 40 ans, à l’étude de l’économie, il avait étudié, pour son propre compte, après ses 25 ans, la chimie et la géologie : il a lu des œuvres philosophiques (Bayle et Locke) après ses 40 ans, sur le conseil de James Mill. Mais il est clair également d’après ses écrits, me semble-t-il, que le seul élément culturel qu’on peut trouver chez lui est dérivé des sciences naturelles » [5].

On sait enfin que l’échange sur Ricardo entre les deux amis s’arrête alors, à l’été 1932, à cause du durcissement imposé aux prisonniers par l’administration de la prison en ce qui concerne la correspondance autorisée [6].

Quelle est donc la lecture gramscienne de Ricardo ? Que sont, en particulier, ces concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance », dont Gramsci attribue la paternité à Ricardo et qui, selon lui, sont des fondements de la « science économique » ?

  1. Antonio Gramsci, Lettres de prison (1926-1934), traduit de l’Italien par Hélène Albani, Christian Depuyper et Georges Saro. Paris : Éditions Gallimard, 1971,édition électronique http://dx.doi.org/doi:10.1522/030147462, vol. II, p. 227
  2. Ibid.
  3. Piero Sraffa, Lettere a Tania per Gramsci, Editori riuniti, 1991, p. 74).
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. Voir à ce sujet l’introduction de Valentino Gerratana à : Piero Sraffa, Lettere a Tania per Gramsci, Editori Riuniti, 1991