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Gramsci et la querelle de l’espéranto : Différence entre versions
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− | En janvier 1918, Gramsci écrit trois articles consacrés à | + | En janvier 1918, Gramsci écrit trois articles consacrés à l’espéranto. Un courant d’ « espérantistes » s’était, en effet, formé dans les milieux socialistes, qui comptait parmi ses animateurs un ancien premier secrétaire du PSI et directeur de [[l’''Avanti !'']], Oddino Morgari. Un lecteur de l’''Avanti !'', Vezio Cassinelli, avait envoyé au journal un courrier dans lequel il préconisait l’apprentissage et l’usage de l’espéranto, comme « langue auxiliaire » dans les relations des militants socialistes de nationalités différentes, par exemple lors des congrès d’une future nouvelle Internationale<ref>la IIe Internationale a sombré dans la guerre et la IIIe – le [[Komintern]] – n’existe pas encore</ref>. |
− | Gramsci publie, le 24 janvier, dans | + | Gramsci publie, le 24 janvier, dans l’''Avanti !'', une [Gramsci et l’espéranto. « Contre un préjugé »|réponse au courrier de Cassinelli]. Sans mettre en cause la bonne foi de celui-ci, il y attaque vivement l’idée de « langue internationale », y voyant, au regard de ce que la science du langage enseigne, une « faute grossière ». |
− | Une brève réponse à l’article de Gramsci, attribuée à [Serrati], le directeur de | + | Une brève réponse à l’article de Gramsci, attribuée à [https://fr.wikipedia.org/wiki/Giacinto_Menotti_Serrati Serrati], le directeur de l’''Avanti !'', est publiée le 26 janvier par le journal. Gramsci est présenté, non sans une certaine ironie, comme un « spécialiste émérite de glottologie ». On y mentionne que son article a suscité de nombreuses réponses en défense de l’espéranto. On admet que l’analyse du « spécialiste de glottologie » peut être juste sur un plan théorique, mais on maintient que la langue internationale, d’un point de vue pratique, est utile et que le Parti doit en approuver la diffusion et l’apprentissage. L’auteur de l’article parle, à propos de la position de Gramsci, d’ « intransigeance ». |
− | Le lendemain, le journal publie une nouvelle défense de | + | Le lendemain, le journal publie une nouvelle défense de l’espéranto, signée du très respecté [http://www.treccani.it/enciclopedia/ruggero-panebianco_(Dizionario-Biografico)/ Ruggero Panebianco][Ruggero Panebianco], éminent géologue, ancien chemise rouge garibaldien. |
− | Le second texte de Gramsci, toujours dans | + | Le [[Gramsci et l’espéranto. Article du 29 janvier 1918|second texte de Gramsci]], toujours dans l’''Avanti !'', est une réponse à la lettre de Panebianco et au texte de Serrati, dans laquelle Gramsci s’efforce de désarmer l’ironie exercée à ses dépens en précisant qu’il n’est pas un « spécialiste émérite », mais un étudiant qui prépare une thèse « sur l’histoire du langage en cherchant à appliquer à ces recherches les méthodes critiques du matérialisme historique ». Inutile, autrement dit, de le présenter ironiquement comme une sommité pour reconnaître sa compétence scientifique, qui, dans le domaine linguistique, vaut certainement celle du géologue Panebianco. Surtout, Gramsci a beau jeu de pointer l’incohérence des propos du directeur de l’''Avanti !'', lequel reconnaît la justesse scientifique de la position de Gramsci, mais préconise, en pratique, la position contraire : « Ce qui en théorie est faux et infondé peut-il être utile “en pratique“ ? ». L’incohérence, ici, est d’autant plus flagrante que c’est à la démonstration qui fait de la « langue unique » une utopie que Serrati à donné son accord « théorique » : comment peut-on préconiser « en pratique » ce que l’on considère comme une ''utopie'' ? |
− | Un peu plus tard, le 16 février, Gramsci publiera, enfin, [un troisième article], non plus dans | + | Un peu plus tard, le 16 février, Gramsci publiera, enfin, [Gramsci et l’espéranto. « La langue unique et l’espéranto »|un troisième article], non plus dans l’''Avanti !'', mais dans le [https://it.wikipedia.org/wiki/Il_Grido_del_Popolo ''Grido del Popolo''], journal dont il est, de fait, depuis la fin de 1915, le principal animateur. Il peut y mener une analyse plus approfondie que dans ses deux précédents textes et y faire pleinement valoir ses compétences de linguiste, « spécialiste émérite de glottologie ». |
Quelles sont les idées que Gramsci défend dans ces trois articles ? | Quelles sont les idées que Gramsci défend dans ces trois articles ? |
Version du 25 mai 2020 à 15:59
En janvier 1918, Gramsci écrit trois articles consacrés à l’espéranto. Un courant d’ « espérantistes » s’était, en effet, formé dans les milieux socialistes, qui comptait parmi ses animateurs un ancien premier secrétaire du PSI et directeur de l’''Avanti !'', Oddino Morgari. Un lecteur de l’Avanti !, Vezio Cassinelli, avait envoyé au journal un courrier dans lequel il préconisait l’apprentissage et l’usage de l’espéranto, comme « langue auxiliaire » dans les relations des militants socialistes de nationalités différentes, par exemple lors des congrès d’une future nouvelle Internationale[1]. Gramsci publie, le 24 janvier, dans l’Avanti !, une [Gramsci et l’espéranto. « Contre un préjugé »|réponse au courrier de Cassinelli]. Sans mettre en cause la bonne foi de celui-ci, il y attaque vivement l’idée de « langue internationale », y voyant, au regard de ce que la science du langage enseigne, une « faute grossière ».
Une brève réponse à l’article de Gramsci, attribuée à Serrati, le directeur de l’Avanti !, est publiée le 26 janvier par le journal. Gramsci est présenté, non sans une certaine ironie, comme un « spécialiste émérite de glottologie ». On y mentionne que son article a suscité de nombreuses réponses en défense de l’espéranto. On admet que l’analyse du « spécialiste de glottologie » peut être juste sur un plan théorique, mais on maintient que la langue internationale, d’un point de vue pratique, est utile et que le Parti doit en approuver la diffusion et l’apprentissage. L’auteur de l’article parle, à propos de la position de Gramsci, d’ « intransigeance ».
Le lendemain, le journal publie une nouvelle défense de l’espéranto, signée du très respecté Ruggero Panebianco[Ruggero Panebianco], éminent géologue, ancien chemise rouge garibaldien.
Le second texte de Gramsci, toujours dans l’Avanti !, est une réponse à la lettre de Panebianco et au texte de Serrati, dans laquelle Gramsci s’efforce de désarmer l’ironie exercée à ses dépens en précisant qu’il n’est pas un « spécialiste émérite », mais un étudiant qui prépare une thèse « sur l’histoire du langage en cherchant à appliquer à ces recherches les méthodes critiques du matérialisme historique ». Inutile, autrement dit, de le présenter ironiquement comme une sommité pour reconnaître sa compétence scientifique, qui, dans le domaine linguistique, vaut certainement celle du géologue Panebianco. Surtout, Gramsci a beau jeu de pointer l’incohérence des propos du directeur de l’Avanti !, lequel reconnaît la justesse scientifique de la position de Gramsci, mais préconise, en pratique, la position contraire : « Ce qui en théorie est faux et infondé peut-il être utile “en pratique“ ? ». L’incohérence, ici, est d’autant plus flagrante que c’est à la démonstration qui fait de la « langue unique » une utopie que Serrati à donné son accord « théorique » : comment peut-on préconiser « en pratique » ce que l’on considère comme une utopie ?
Un peu plus tard, le 16 février, Gramsci publiera, enfin, [Gramsci et l’espéranto. « La langue unique et l’espéranto »|un troisième article], non plus dans l’Avanti !, mais dans le Grido del Popolo, journal dont il est, de fait, depuis la fin de 1915, le principal animateur. Il peut y mener une analyse plus approfondie que dans ses deux précédents textes et y faire pleinement valoir ses compétences de linguiste, « spécialiste émérite de glottologie ».
Quelles sont les idées que Gramsci défend dans ces trois articles ?
Sommaire
« Langue auxiliaire » et « cosmopolitisme »
Pour les « partisans de la langue unique » : un grand nombre de gens dans le monde souhaitent pouvoir communiquer directement ; or, il n’existe pas une langue unique, mais une infinité de langues différentes. Il faut donc inventer la « langue unique » qui fait défaut. Ce raisonnement est notamment celui des militants qui souhaitent pouvoir communiquer directement avec des militants appartenant à d’autres partis nationaux, par exemple lors des congrès internationaux. Il ne s’agit pas, dans l’esprit des partisans de l’Espéranto, de créer un équivalent des différentes langues nationales, mais d’élaborer une langue « auxiliaire », un outil permettant, dans certaines circonstances, à des personnes de communautés linguistiques différentes, de communiquer aisément et directement, sans avoir recours à des procédés lourds tels que l’interprétariat, la traduction, etc. Et ils ajoutent que c’est bien ce rôle que l’espéranto joue déjà dans quelques assemblées, manière de démontrer, face à « l’intransigeance » du « spécialiste émérite », le mouvement en marchant.
Pour Gramsci, cette idée d’une langue internationale et unique ne correspond pas à une démarche « internationaliste », c’est-à-dire au projet d’unir les « prolétaires de tous les pays ». Langue « auxiliaire » pour qui, demande-t-il ? La grande majorité des citoyens n’a, en effet, que peu d’échanges avec l’étranger et n’éprouve guère, en pratique, ce genre de besoin. Gramsci sous-enten, ici, parce que, pour lui, cela va de soi, que ce qui est vrai pour les « citoyens » en général, l’est a fortiori pour les plus modestes, pour les « subalternes » que sont les ouvriers et les petits paysans, et, surtout, que le problème linguistique concret pour la grande masse des travailleurs, en Italie, est celui de la « langue nationale » : sortir, par l’acquisition et la maîtrise de l’italien, des limites régionales et culturelles imposées par les dialectes.
En réalité l’idée de la langue internationale unique défendue par les « espérantistes-socialistes » correspond, sans qu’ils en aient conscience, précise Gramsci, qui ne met pas en cause la bonne foi de ces militants, à un besoin « cosmopolite », celui de bourgeois qui voyagent pour faire du tourisme ou des affaires. Qu’est-ce qu’une langue ?
C’est précisément à propos de la question de la « langue nationale », la « vraie » question linguistique masquée par celle de la « langue unique », que Gramsci peut faire valoir, en particulier dans son dernier article, qu’il publie dans « son » journal, le Grido del Popolo, ses compétences propres de « glottologue émérite ». Il le fait sur deux points :
1) En rapprochant le débat sur l’espéranto de celui qui s’est instauré, en Italie, sur la langue nationale au lendemain de l’unité, entre les « puristes » de [l’Académie de la Crusca], [Manzoni] et [Graziadio Isaia Ascoli] : au moment même, en effet, où il prend position sur l’Espéranto, au début de 1918, Gramsci travaille à une édition des écrits de Manzoni sur la langue qui lui a été demandée par le directeur de la Collezione dei classici italiani de la maison d’édition Utet de Turin, le professeur Balsamo-Crivelli. Par ailleurs, Gramsci est familier de l’oeuvre de Graziadio Ascoli qu’il a étudiée avec son maître [Matteo Bartoli].
2) la théorie crocienne du langage, selon laquelle une langue, avant même d’être un outil de communication, relève d’un geste esthétique. Là encore, ce n’est pas seulement le passé crocien du jeune Gramsci qui joue un rôle, mais l’enseignement de Bartoli.
La question de la « langue nationale »
Concernant le premier point, Gramsci fait allusion au débat ayant eu lieu, dans les années suivant l’unité, tout d’abord entre les « puristes » de l’Académie de la Crusca et Alessandro Manzoni, à propos de la langue qui doit être celle de la nouvelle Italie, ensuite à celui qui s’est poursuivi entre les manzonistes et Ascoli.
Manzoni et la Crusca
Selon la phrase attribuée à [Massimo d’Azeglio], au lendemain de la proclamation, en 1861, du Royaume d’Italie, il s’agissait, une fois l’Italie faite, de « faire les Italiens » [Dans la préface à ses mémoires, D’Azeglio écrit : « Il primo bisogno d'Italia è che si formino Italiani dotati d'alti e forti caratteri. E pur troppo si va ogni giorno più verso il polo opposto: pur troppo s'è fatta l'Italia, ma non si fanno gl'Italiani. ». La « traduction » en « Fatta l’Italia, bisogna fare gli Italiani » est de Ferdinando Martini en 1896. En réalité, l’idée, dans les termes mêmes de la phrase célèbre, avait déjà été évoquée plusieurs fois en référence à la pensée profonde de D’azeglio, Voir : Claudio Gigante, «“Fatta l’Italia, facciamo gli Italiani“. Appunti su una massima da restituire a d’Azeglio”, in Incontri. Rivista europea di studi italiani, 26, 2011, pp. 5-15] ; dans un pays où chaque région, chaque cité, parfois chaque quartier avait son propre dialecte, faire les Italiens impliquait que l’on dote ceux-ci d’une langue unique. Cette langue pouvait-elle être « l’italien » officiel, c’est-à-dire l’italien littéraire, la langue de Dante, Boccace, Pétrarque, le « volgare illustre », que seule une petite minorité d’italiens maîtrisaient et sur laquelle veillait jalousement l’Académie de la Crusca ? Ce n’était pas l’avis de Manzoni qui jugeait l’italien classique, peu homogène et ne correspondant pas à un véritable usage linguistique, inadapté à l’Italie nouvelle, au monde moderne et qui avait lui-même réécrit ses Promessi sposi en toscan florentin. Manzoni considérait en effet que le toscan, dans sa version florentine, pouvait constituer la « langue nationale » cherchée par les Italiens : c’était une langue « bell’e fatta », déjà prête, pour l’essentiel, et en mesure de satisfaire tous les besoins de la nation nouvelle, que ce soit comme langue écrite de l’administration et de la vie culturelle, ou comme langue parlée de la vie quotidienne ; le toscan jouait, en effet, déjà ce rôle en Toscane. Résoudre le problème de la « langue nationale » de la nouvelle Italie consistait, pour Manzoni, à choisir, parmi les dialectes de cette Italie, celui qui paraissait le mieux adapté à l’objectif, en l’occurrence le florentin ; il soutenait que tout ce qui se dit dans les grandes cités italiennes, dont le niveau de développement culturel est le même, pouvait être dit en florentin. Il s’agissait donc de se donner les moyens de transformer le florentin en italien « officiel » - « standard » dirait-on aujourd’hui – c’est-à-dire de le décréter langue nationale, d’établir un lexique de référence pour tous les citoyens, par la composition d’un Novo Vocabolario appelé à prendre la place du Dictionnaire de la Crusca, et, enfin, envoyer dans toute la péninsule des instituteurs toscans.
Manzoni avait synthétisé ses propositions, en 1868, dans un rapport que lui avait commandé Emilio Broglio, le ministre de l’instruction publique du gouvernement, alors installé à Florence, éphémère capitale du royaume, Dell'unità della lingua e dei mezzi di diffonderla [/home/patrick/Nextcloud/PG/polis/Gramsci/gramsci-linguistique/Manzoni_Dell'unità_della_lingua_e_dei_mezzi_di_diffonderla.pdf].
Si Manzoni l’avait emporté sur les « puristes » de la Crusca, grâce notamment à ses appuis politiques, comme le rappelle Gramsci, sa position avait été très rapidement combattue par le « père » de la linguistique italienne, Graziadio Isaia Ascoli, en l’occurrence authentique « spécialiste émérite de glottologie », et qui avait, affirme Gramsci, en une « trentaine de pages », réduit à néant les centaines de pages consacrées par Manzoni à exposer son « florentinisme ».
Graziadio Isaia Ascoli
Ascoli avait en effet formulé, en 1873, dans le « Proemio » (le préambule) de la revue qu’il était en train de fonder, L’archivio glottologico italiano voir traduction : /home/patrick/Nextcloud/PG/polis/Gramsci/gramsci-linguistique/ascoli-proemio-trad.odt, une critique sans appel de la démarche de Manzoni : le « modèle florentin » préconisé par celui-ci ne correspond pas, montrait-il, à la dynamique réelle des faits linguistiques.
Ascoli réfléchissait aux cas de la France et de l’Allemagne, nations disposant l’une comme l’autre d’une véritable langue nationale. L’Allemagne présentait, à ses yeux, un exemple particulièrement intéressant dans la mesure où, si, en France, c’est par le rayonnement de la capitale, Paris, que s’est formée et diffusée la langue nationale, ce ne pouvait pas être le cas en Allemagne, pays où, comme en Italie, étaient parlés de multiples dialectes, pays plus divisé encore que l’Italie puisqu’il avait également connu, avec la Réforme, une fracture religieuse. L’Allemagne disposait, pourtant, d’une langue unique, organisée et solide. Ascoli insistait sur le rôle, précisément, de la Réforme dans la construction de la langue et de la culture nationales allemandes. Il mettait également en avant le rôle des grands auteurs, citant notamment l’oeuvre des philosophes - Leibniz, Kant, Klopstock… -. L’exemple de l’Allemagne montrait, par là, que le processus de formation d’une langue nationale pouvait aussi se faire via l’écrit, ce qui tendait à remettre en course l’idée que l’italien national pouvait être l’italien écrit, utilisé depuis le 13e siècle comme langue littéraire et comme langue d’échange des élites. Pour autant, Ascoli ne soutenait pas, dans le débat entre Manzoni et la Crusca, les positions de cette dernière.
Il montrait, en effet, que vouloir imposer « d’en haut » une langue, que ce soit le « volgare illustre », ou un dialecte, en l’occurrence le florentin, n’était pas pertinent pour plusieurs raisons : les dialectes sont les langues naturelles des populations de la péninsule et quand bien même l’italien littéraire ou le florentin « parlé », seraient imposés avec les moyens de l’Etat, rien ne ferait, pas même l’établissement d’un nouveau lexique – le Novo vocabolario voulu par Manzoni - qu’il ne soit lui-même rapidement transformé par les usages régionaux, de sorte que la question de la définition de la langue nationale continuerait à se poser. Par ailleurs, l’imposition du Florentin susciterait immanquablement des réactions d’hostilité, en particulier de la part des intellectuels non-florentins, lesquels ne contribueraient pas, de ce fait, au renforcement de la langue nationale comme l’ont fait les intellectuels de toutes les régions allemandes pour l’allemand ou les intellectuels parisiens, ou devenus parisiens, pour le français. Une langue, montrait Ascoli, n’est pas « une nouvelle manche à enfiler », mais plutôt « une peau qui est le produit de tout l’organisme de la vie nationale » [Proemio, 12]. Les faits de langue, autrement dit, ne sont pas seulement « linguistiques », ils ne peuvent pas être isolés de l’évolution de la société tout entière : ils dépendent de toute la vie sociale, politique, culturelle de cette société. La langue est le produit continu des échanges existant au sein d’une société entre ses différentes composantes, échanges qui sont eux-mêmes un effet des activités économiques, productives, commerciales, sociales, culturelles, politiques, qui constituent la vie collective. C’est pourquoi on ne saurait enfermer une fois pour toutes une langue dans un « vocabulaire ».
Pour Ascoli, l’Italie avait un problème avant tout culturel : elle ne manquait pas de grands esprits, de grands auteurs, de grands savants, mais un profond fossé séparait cette élite intellectuelle, comparable à celle de la France ou de l’Allemagne, des masses populaires, de ces citoyens italiens qu’il s’agissait désormais de « faire » après avoir unifié l’Italie. Les grands esprits italiens, sans contacts avec la grande masse des Italiens, étaient conduits à trouver leur disciples, leurs élèves, leurs continuateurs, à l’étranger. Ascoli parle de « faible densité de la culture » et de « concentration du savoir chez quelques-uns » en Italie [ibid.].
S’agissant de la langue nationale, plutôt que de rejeter l’italien littéraire et d’imposer un dialecte parmi tous les autres, il convenait avant tout, soutenait le linguiste, de mener un travail d’éducation massif visant à combler l’écart culturel existant en Italie entre les masses populaires, confinées dans les usages dialectaux, et les élites cultivées, qui disposaient, quant à elles, à la fois des dialectes et de l’Italien littéraire. Ce travail d’éducation accompagnant le procès de construction de l’unité nationale, et donc le développement des échanges et des contacts, susciterait la formation de la langue de tous les italiens, une langue adaptée aux usages de la nouvelle Italie, et disposant d’un très riche patrimoine littéraire.
Cette argumentation, Gramsci la reprend pour l’appliquer, cette fois, à la « langue internationale », la « langue unique ». La transition est claire : « Si une langue unique, pourtant parlée dans une région et qui a une source vivante à laquelle se référer, ne peut pas s’imposer dans les limites du terrain national, comment une langue internationale, complètement artificielle, complètement mécanique, privée de toute historicité, de toute suggestion de grands écrivains, privée de cette richesse expressive qui vient de la variété dialectale, privée de la variété des formes admises aux différentes époques, pourrait-elle s’affirmer ? » [quel article?]. Comment l’espéranto, qui, parce qu’il voudrait être parlé partout, ne l’est véritablement nulle part, qui, parce qu’il voudrait être la langue de toutes les communautés, n’est la langue d’aucune, pourrait-il s’imposer – ou être imposé, mais par qui ? - alors même qu’une langue véritable, parlée par une communauté, soutenue par une littérature, une vie sociale complexe, une économie, ne peut pas l’être ? Comment une langue complètement artificielle pourrait-elle réussir ce qu’une langue naturelle ne peut faire ? Gramsci, malgré le ton polémique qu’il adopte naturellement [« Que les espérantistes continuent donc à propager leurs idées : il y a encore des gens qui écrivent des poèmes épiques en cinquante chants et qui publient des imitations de La Divine Comédie : pourquoi faudrait-il être cruels avec les espérantistes qui ont tant de bonne volonté ? », écrit Gramsci dans sa réponse à Serrati], ne veut pas pour autant se moquer du désir de ses camarades d’une communication « directe », ni balayer les espoirs mis par les « socialistes-espérantistes » dans la création d’une langue unique. Il veut faire comprendre qu’une telle langue ne peut être créée à partir d’une décision administrative, fût-elle prise par un état ou un parti ; l’apparition d’une langue unique, qui pourrait être celle des socialistes de toutes les nations, ne peut advenir que par la mise en place d’une culture nouvelle, dépassant les limites nationales. Il n’est pas nécessaire, pour cela, d’inventer de toutes pièces une langue nouvelle ; il est probable, en effet, dit Gramsci, que l’une des langues mises en contact s’imposera aux autres : celle dotée, dans l’histoire de cette culture nouvelle, du plus grand prestige, celle, par exemple, « du premier pays instaurant le socialisme, [langue] qui, par là, deviendrait sympathique, paraîtrait belle, parce qu’avec elle s’exprime notre civilisation installée dans une partie du monde, parce qu’en elle ce sont les livres, non plus de critique, mais de description d’expériences vécues qui seront écrits, parce qu’en elle seront écrits des romans et des poésies qui vibreront de la nouvelle vie instaurée, des sacrifices [faits] pour la renforcer, de l’espoir que partout advienne la même chose. » [ref.]. En d’autres termes, la meilleure manière que peuvent avoir les militants socialistes de réaliser leur rêve d’une langue internationale unique, consiste à faire en sorte que le socialisme advienne. En attendant, mieux vaut consacrer ses efforts à apprendre avec rigueur et efficacité les langues les plus largement diffusées, notamment dans le cadre de l’internationalisme.
La conception crocienne de la langue
Le deuxième point abordé en « spécialiste » par Gramsci dans ces trois textes de 1918 sur l’espéranto, est la conception du langage développée par Benedetto Croce.
En 1902, Benedetto Croce fait paraître L’Estetica come scienza dell'espressione e linguistica generale, ouvrage dans lequel, comme l’indique le titre, il développe l’idée que la linguistique, en tant que discipline, relève de l’Esthétique, car le propre de la langue n’est pas la communication mais l’expression.
Pour la linguistique académique, l’idée est assez troublante, car elle s’accompagne de la réduction de son champ d’investigation à un domaine purement technique. Le langage naît d’abord comme pure expression, comme « poésie », et son analyse en éléments tels que phonèmes, syllabes, mots, propositions, etc. est un effort d’abstraction à visée utilitaire : la grammaire est d’abord une technique inventée par les linguistes à des fins mnémotechniques et pédagogiques. C’est pourquoi Croce ne s’est jamais intéressé aux aspects techniques de la linguistique comme discipline universitaire.
Des linguistes ont été pourtant frappés par une telle conception. Ce fut le cas notamment de Matteo Bartoli. On raconte volontiers l’anecdote, rapportée par Croce lui-même, où Bartoli, entrant en cours et montrant à ses étudiants le livre de Croce, leur déclare : « Mes enfants, nous nous sommes trompés, il faut tout reprendre depuis le début, ce livre le prouve » [“Giovani miei, abbiamo sbagliato, dobbiamo rifarci da capo : questo libro lo prova“. Cité in ?]. Toujours est-il que cette conception a trouvé à s’exprimer dans deux écoles linguistiques : elle a donné lieu à une « linguistique idéaliste », dont les représentants principaux furent Vossler et Bertini, et elle a également accompagné le courant « néo-linguistique » animé par Bartoli.
Lorsque Gramsci, dans son premier article sur l’espéranto, écrit que « la langue n’est pas seulement un moyen de communication : elle est avant tout œuvre d’art, elle est beauté », il renvoie, lui qui fut à la fois un lecteur de Croce et un étudiant très proche de Bartoli, à la théorie linguistique de Croce.
Du reste, Gramsci est d’autant plus porté à évoquer la réflexion crocienne, ici, que Croce rejette, comme lui, l’idée d’une « langue universelle », langue qui aurait, dit-il, « l’immobilité du concept et de l’abstraction » [Benedetto Croce. Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale: teoria e storia. G.Laterza, 1908. Internet Archive, http://archive.org/details/esteticacomesci00crocgoog.], langue qui ne saurait être « expression ». C’est aussi à Croce que Gramsci fait référence, dans son article paru sur Il grido del popolo, lorsqu’il s’oppose à la défense de l’italien littéraire – le « volgare illustre » - menée par la Crusca au nom de la beauté insurmontable de cette langue. Selon Gramsci, en effet, l’argument de la beauté est ici mal compris : si une langue se forme en répondant à un besoin esthétique, cela ne signifie pas qu’une langue est belle en tant que telle : « Ce n’est pas la langue qui est belle, mais les chefs-d’œuvres poétiques ». La langue de Dante n’est pas « belle » en elle-même, c’est la Divine comédie qui est belle, et elle est telle parce qu’elle exprime « de manière adéquate le monde intérieur de l’écrivain ». De ce point de vue, l’émerveillement de l’enfant devant un jouet, exprimé dans sa langue, qui ne sera certainement pas le volgare illustre de Dante, est aussi beau qu’un vers de la Divine Comédie.
Bartoli et la néo-linguistique
C’est à travers l’enseignement de Bartoli que Gramsci a acquis les compétences linguistiques qu’il n’hésite pas à mobiliser dans ce débat sur la « langue unique ».
Au tournant des 19e et 20e siècles, la linguistique est dominée par les « néogrammairiens » qui, en réaction contre les théories romantiques de la langue, ont cherché à constituer la linguistique en science positive en la centrant sur la phonétique, laquelle relève de processus liés à l’appareil acoustico-phonatoire et donc de nature en dernière instance physiologique. Il en était résulté un certain dogmatisme de l’infaillibilité des lois phonétiques et du statut de la linguistique comme « science naturelle », dogmatisme qui laissait irrésolus des problèmes concernant notamment l’évolution des langues, les changements, les mutations qu’elles connaissent. Bartoli, face à la vulgate néogrammairienne, s’appuie, pour sa part, sur les travaux d’Ascoli, et tout particulièrement sur la notion de [« substrat »] élaborée par celui-ci, pour redonner à la linguistique le statut d’une « science humaine ». Ascoli, dont les études en dialectologie faisaient référence, montrait qu’entre idiomes se produisent de multiples rencontres, qui prennent souvent la forme de conflits ; des positions de domination se mettent en place et des communautés linguistiques sont amenées à adopter, en fonction de circonstances historiques données, l’idiome d’une autre communauté ; celui de la communauté linguistique dominée devient alors ce qu’Ascoli appelle la « langue de substrat » ; ce substrat provoquera des modifications dans l’idiome dominant. Ainsi, lorsque les populations de la Gaule ont adopté le latin, les langues gauloises ont constitué des substrats qui ont eu des effets phonologiques, morphologiques, syntaxiques sur le latin de Rome.
Pour Ascoli, les transformations qu’il observait, et qu’il décrivait notamment dans ses études des dialectes, étaient dues à des causes à la fois internes et externes aux phénomènes linguistiques. Les causes internes relevaient, comme l’établissaient les néogrammairiens, de phénomènes phonétiques ; les causes externes relevaient des vicissitudes rencontrées par chaque groupe linguistique, en d’autres termes, de l’histoire de ces groupes. Dans l’esprit d’Ascoli, causes internes et externes se conjuguaient dans le processus de transformation des langues. Ainsi, c’est l’événement historique de la conquête des Gaules qui conduit les populations de la Gaule à adopter le latin, mais ce sont les particularités phonétiques des langues gauloises, liées à l’appareil phonatoire des populations gauloises, qui influent sur le latin adopté par ces populations.
Bartoli, qui revendique l’héritage ascolien et s’inspire très directement des travaux sur les dialectes de [Jules Gillièron], et, au-delà, de ceux de l’école française, représentée par [Michel Bréal] et [Antoine Meillet], élabore une [« linguistique géographique »], qu’il oppose, sous le nom de [« néo-linguistique »], à la linguistique des [« néo-grammairiens »] ; il définira une série de règles permettant de rendre compte de la manière dont les langues influent les unes sur les autres, dont une langue s’impose face à d’autres et dont elle est elle-même modifiée par ces langues dominées [voir les règles de Bartoli]. Là se trouve le principe de la conception gramscienne de la formation d’une langue nationale, qui invalide, selon Gramsci, l’espoir de constituer de toutes pièces, une langue internationale unique, fixée une fois pour toutes et qui serait comme préservée de toutes les vicissitudes de l’histoire.
Il est certain que la rencontre entre la « néo-linguistique » de Bartoli et la linguistique esthétique de Croce a été largement déterminée par le rôle et la place particulière que le philosophe napolitain avait dans la vie intellectuelle italienne, c’est-à-dire par des raisons extérieures aux débats spécialisés que menaient les linguistes. La rencontre ne s’en fait pas moins sur le fond : Croce fournit un habillage et une conception philosophique aux analyses de la néo-linguistique. La langue est d’abord un acte de langage. On peut même dire que la langue en tant que telle n’existe pas, seuls existent les actes de langage et la langue elle-même est la collection abstraite de ces actes. Ce sont ainsi les actes de langage, effectués par les individus dans des circonstances données, qui produisent les rencontres, les conflits et les mutations, les transformations, les modifications amenant la formation de langues correspondant à des communautés concrètes, historiques, jusqu’à la formation de langues nationales.
La linguistique esthétique de Croce fait ainsi de la réflexion spécialisée de Bartoli un élément avancée de la lutte contre le positivisme.
Les textes sur l’espéranto dans les Cahiers
Une douzaine d’années plus tard, Gramsci, dans les Cahiers de prison, revient sur l’espéranto, à propos de ce qu’il appelle « l’espéranto philosophique et scientifique » : « Ne pas comprendre l’historicité du langage et donc des idéologies et des opinions scientifiques, a eu pour conséquence la tendance à construire un espéranto ou un volapük de la philosophie et de la science. » [Q 7, 3]
Gramsci écrit ceci à propos d’un ouvrage intitulé Fondazione della Metodologia – Logica e Epistemologia, d’un « signor Mario Govi », dans lequel la logique, entendue comme méthodologie générale des sciences, et l’épistémologie comme méthodologie spécialisée, sont décrites comme si elles avaient une existence en elles-mêmes, établie une fois pour toutes, indépendamment des disciplines où elles sont employées, de sorte qu’il suffirait d’appliquer, à tout domaine de connaissance, la bonne méthode – celle désormais fixée par le logicien et l’épistémologue - pour parvenir à la science : « Pour Govi, il semble que la logique et l’épistémologie […] existent en soi et pour soi, abstraites de la pensée concrète et des sciences particulières concrètes (comme la langue existe dans le vocabulaire et dans les grammaires, [comme] la technique existe en dehors du travail, etc. etc.) : avec cette conception, il est naturel qu’on retienne comme légitime un “volapük“ de la philosophie » [Ibid.].
L’inspiration à la fois crocienne et ascolienne de la réflexion gramscienne sur le langage se transmute, ici, dans ce qui constitue la véritable philosophie générale de Gramsci, à savoir « l’historicisme ». Le langage n’existe pas hors de la parole, la langue en tant que telle est une abstraction, comme les éléments dont elle se compose : la grammaire, les unités linguistiques, le lexique, de sorte qu’un système linguistique artificiel, construit de toutes pièces dans un atelier de linguiste, figé dans sa forme, c’est-à-dire sa grammaire et son vocabulaire, ne sera jamais un langage. De même, la « méthode » dans les sciences et dans la connaissance n’est qu’une abstraction, elle n’existe pas hors de l’acte de connaissance, hors du travail du scientifique. Ainsi, considérer, par exemple, la logique formelle comme une méthode existant en soi, établie une fois pour toutes, sortie toute armée, en somme, comme le pensait Kant, du cerveau d’Aristote, et pouvant être appliquée, mécaniquement, à n’importe quel objet de connaissance, lui-même existant en soi, comme posé devant l’outil qui va lui être appliqué, c’est là imaginer un espéranto ou un volapük « philosophiques ». Le langage est historique et les abstractions que les linguistes construisent pour l’étudier le sont, par là, elles aussi. La grammaire, c’est-à-dire le système de règles syntaxiques mis en œuvre par les locuteurs d’une communauté linguistique donnée, le vocabulaire, c’est-à-dire les listes de mots apparaissant dans les actes de langage de ces locuteurs, sont eux-mêmes pris dans une historicité qui les transforme, les fait naître et disparaître. De même, la science, c’est-à-dire les actes de connaissance, est-elle historique et ses méthodes – logique « générale » et épistémologies « spécialisées – sont-elles prises dans la même historicité.
On voit bien quels problèmes pose à la tradition marxiste classique une telle réflexion. Michel Bréal, linguiste dont Gramsci avait connu les travaux dans l’atelier de Bartoli, expliquait, contre le dogme naturaliste des néo-grammairiens : « On peut douter que la linguistique doive être comptée parmi les sciences naturelles. Il lui manque pour cela une condition capitale : c’est que l’objet dont elle traite n’existe pas dans la nature. Le langage est un acte de l’homme : il n’a pas de réalité en dehors de l’intelligence humaine (…)... ». Dès lors, assimiler, comme le fait Gramsci, la science à un langage, n’est-ce pas dissoudre dans l’historicité la réalité autonome des objets de connaissance ? Gramsci, qui se réclame pourtant du « matérialisme historique », est-il matérialiste ? On lui a beaucoup reproché son historicisme [voir Althusser].
Cependant, l’importance capitale que la « compétence » linguistique de Gramsci, son statut de « glottologue émérite », ont eu dans la formation de ses idées, est elle-même au cœur de la réponse qu’aurait pu faire Gramsci à ces critiques. Gramsci a vécu la remise en cause du dogme néo-grammairien de l’infaillibilité des lois phonétiques ; il a suivi les travaux montrant l’importance dans le devenir des phénomènes linguistiques des causes « externes » à la langue elle-même, à savoir la vie, dans tous ses aspects, des communauté dans lesquelles ces langues sont parlées ; il a étudié la manière dont se forment les langues, comment elles se transforment ; il a assimilé le concept ascolien de substrat et, même si Bartoli, au moment où il est son étudiant, n’a pas encore formulé publiquement les règles de sa « linguistique spatiale », Gramsci a expérimenté le jeu de ces règles dans les cours de son maître, comme le montre la « dispensa » - le « polycopié » du cours - qu’il a rédigé pour le cours de 1912-1913 : les emprunts linguistiques se font auprès des langues dotées du plus grand « prestige », la diffusion des formes nouvelles se développe à partir d’un centre et les zones périphériques sont moins touchées de sorte que la conservation des formes anciennes y est plus grande ; tout cela, enfin, se fait par la parole, par les actes de langage des locuteurs, actes individuels, actes d’ »expression » comme disait Croce, qui donnent naissance à des phénomènes collectifs. Le savoir linguistique de Gramsci, sa réflexion concrète sur le langage nourrit sa conviction profonde que la donnée première de toute réflexion et de toute action est l’élan populaire qui transforme en permanence les sociétés, que le perpétuel mouvement des masses précède et détermine toutes les formes d’organisation des sociétés et toutes les représentations sociales, culturelles, artistiques ou scientifiques. Tout se passe, en somme, comme si le langage incarnait le procès historique, comme si le langage, dans sa réalité concrète telle qu’elle est décrite par la néo-linguistique, était l’image de la vie sociale tout entière, laquelle n’est pas séparable de ses mutations, de ses transformations. Ce que Gramsci sait du langage fait de celui-ci, pour sa réflexion sur l’histoire, un paradigme qui nourrit ce qu’il nomme son « historicisme absolu ».